Plus forts que la haine

This is a report of a famous public meeting organised by the Sillon on 23 May 1903 in the Mille Colonnes Hall in Paris.

Marc Sangnier debated the “free thinker” ex-priest Victor Charbonnel and Henri Bérenger on the freedom of the Church and state.

After the public meeting, as the Sillonists returned to their own centre for another private meeting, they were attacked by a violent crowd in an event that became known as the “Meeting sanglant” – “Bloody meeting”.

It was this event which perhaps first brought major public attention to the work of the Sillon.

The text below is a reproduction of the special edition of Le Sillon magazine published three days later to mark and report the event.

Numéro spécial 26 Mai 1903 

Le Sillon 

Il faut aller au Vrai 

avec toute son âme 

PLUS FORTS QUE LA HAINE 

La nuit du 23 mai marquera une glorieuse étape dans la vie du Sillon. 

Nos amis ont versé leur sang pour la Cause et ils ont vu combien il était facile de risquer sa vie pour une doctrine. 

Alors que de toutes parts les idées s’embrouillaient, que les partis pris, les haines, les violences contraires s’emmêlaient dans une cruelle bataille, que certains même semblaient essayer d’exploiter en vue de fins égoïstes la lourde angoisse qui pèse sur le pays, nous avons cru qu’il était utile d’affirmer ce que nous voulions, et de montrer pourquoi, nous dont la mission est de préparer l’avenir, nous ne pouvions nous désintéresser du présent. Nous avons voulu parler haut et ferme. 

Nous entendions faire connaître à tous de quel esprit nous sommes. Nous avons eu confiance en la bonté de notre Cause et ce que nous voulions faire, Dieu a voulu que nous le fissions. 

Malgré l’émeute qui depuis quelques jours grondait dans Paris, notre réunion publique fut calme, et digne du Sillon. Nous avons pu obtenir de nos amis, lorsque l’adversaire parlait, un silence qui parut peut-être cruel à plusieurs, mais qui fit hon­neur à nos camarades : ce fut une victoire qu’ils remportèrent sur eux-mêmes : ne sont-ce pas les plus glorieuses et les plus rares? 

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Comme nous devions nous y attendre, nous qui n’avons parlé que de paix, de pitié et d’amour, nous qu’une seule passion animait, celle de notre Christ mort en priant pour ses bour­reaux, à peine sortis de cette enceinte où l’amour avait semblé, durant d’inoubliables heures, avoir tué la haine à force de violence, nous devions être assaillis par les sanglantes revanches de la haine : de honteuses bandes d’assassins devaient essayer de nous terroriser ; mais nous étions plus forts que la haine, et si le sang de plusieurs de nos amis devait arroser notre triomphe à la lueur étrange des torches allumées comme pour une mystérieuse fête d’amour et de mort, nous sentions bien que Dieu était avec nous pour déjouer les odieux complots, pour repousser les brigands meurtriers, pour rendre toute puissante notre faiblesse. 

Comment n’aurions-nous donc pas foi en l’avenir? 

Qui donc pourrait nous arrêter et que peuvent contre nous tous ceux qui ont juré notre ruine? 

Feront-ils que nous n’ayons pas raison? 

Feront-ils que nous ayons peur de leurs assauts? 

Celui qui vit la vérité ne craint pas la mort; il ne peut pas mourir, car la vérité ne meurt pas. 

Puissions-nous seulement, entraînant à notre suite ceux qui ont entendu au fond de leurs cœurs l’appel qu’on ne saurait repousser sans trahison, et qui nous jeta dans l’ardente mêlée, être capables d’offrir à la Cause nos vies jour par jour, heure par heure, dans une offrande passionnée et consciente, libre et disciplinée. 

Ne comptons pas, en vainquant la violence par la violence, sauver l’Eglise, c’est par d’autres canaux que la vie divine entend se répandre dans les âmes, et si la défense peut devenir un devoir sacré, il faut aussi la conquête. 

Or, le Christ ne nous a donné qu’une force de conquête: c’est l’Amour. 

MARC SANGNIER. 

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LA RÉUNION PUBLIQUE 

DES MILLE-COLONNES 

L’Affiche du Sillon

Les entraves violentes portées à la liberté du culte par quelques intellectuels jacobins et des bandes d’émeutiers ne pouvaient laisser le Sillon impassible. Quelques jours donc après les scènes de Belleville et de Plaisance, nos amis faisaient déposer sur les murs de Paris l’affiche suivante 

CAMARADES, 

Une bande de sectaires haineux vient de déclarer la guerre au catholicisme. Ils espèrent terroriser le pays et imposer à un gouvernement timide et affaibli leur dictature jacobine. 

Ils se trompent. Ils ont beau multiplier les malentendus, accumuler les calom­nies, le hon sens populaire se révolte contre leurs odieux desseins. La France n’est pas mûre pour une si pitoyable servitude. De toutes parts, les églises apparaissent non plus seulement aux croyants comme le sanctuaire sacré de la divinité, mais aux incroyants eux-mêmes comme des citadelles de liberté pour la conscience humaine. 

Ce ne sont pas quelques troupes d’émeutiers qui parviendront jamais à étouffer l’indestructible vie de l’Eglise. Si les sectaires versent comme autre­fois le sang des martyrs, ils féconderont encore les racines de l’arbre impéris­sable.. 

Ce n’est ni avec des cris, ni avec dos coups que l’on tue une doctrine… Ce n’est même pas par des lois… Que nos adversaires ne se figurent pas nous intimider à force de rage exaspérée !… Nous sommes d’une race qui sait mourir. 

CAMARADES, 

Nous vous convions tous à notre réunion de samedi soir. 

Nous comptons sur le calme de tous. Désireux seulement de nous adresser librement à des penseurs libres, nous demandons à être loyalement écoutés, puisque nous parlerons loyalement. Le débat est assez grave, d’assez hautes questions sont on jeu pour que chacun ait à cœur de ne pas déshonorer les idées qu’il représente en faisant appel à de honteuses excitations. 

Il y va de l’honneur de Paris. 

Nous ne redoutons pas les luttes qui s’annoncent. Nous avons confiance. 

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Nous savons que c’est la Vérité qui rend l’homme libre. Les angoisses de l’heure présente, sans doute, sont cruelles, mais le Christianisme ne peut-il pas transformer et vivifier ce monde douloureux qui cherche sa voie, et donner bientôt plus de conscience, plus de justice, plus de fraternité à nos cités humaines, qu’attire sans cesse le désir bienfaisant de l’idéale et divine Cité… Nous savons mieux que personne quelle est notre faiblesse et quel dur labeur le siècle impose à notre jeunesse, mais nous savons aussi que nous pouvons tout en Celui qui nous fortifie. 

Nous sommes les éternels entêtés de l’Amour. Nous sommes plus forts que la haine. 

LE SILLON. 

SALLE DES MILLE COLONNES, 20, RUE DE LA GAITE, SAMEDI 23 MAI 1903, A 8 H. 1/2 

PLUS FORTS QUE LA HAINE 

Les Profanateurs d’églises — L’indestructible vie — Vers la lumière. 

Conférence publique par Marc Sangnier, Président du Sillon. 

Sous la présidence du camarade CLEVERS, avec les camarades ROLLANO et MONTAGU comme assesseurs. Une somme de 0 fr. 25 sera perçue à l’entrée de la Salle pour couvrir les frais de la réunion. 

Cette affiche avait attiré l’attention de tous les partis, surtout les révolutionnaires, qui, se croyant provoqués, décidèrent d’envoyer de leurs orateurs à la conférence publique et contradictoire. Le journal l’Action annonça solennellement cette intention, et tout le monde pressentait une soirée intéressante, sinon grave. 

Avant la réunion. 

Une foule énorme (3.000 personnes) se pressait dès 8h. 1/2 ou 9h. dans le hall des Mille-Colonnes, et malgré les inventions de quelques journaux, tous les adversaires qui voulurent bien payer 0fr. 25 y eurent accès. Un journaliste de l’Action raconte qu’arrivé tard il n’avait que le numéro 82, et que pourtant la salle était comble. Il en conclut que tous les auditeurs avaient des cartes. C’est absolument inexact. Ce numéro 82 correspond à un autre classement que celui des entrées, et le chiffre officiellement constaté des entrées payantes est de plusieurs centaines, auxquelles il faut ajouter un chiffre considérable de journa­listes, de policiers et même d’églantinards qu’on a vus pénétrer dans la salle avec des cartes rouges de commissaires. 

La réunion a donc bien été publique, et si tout le monde n’a pu péné­trer, c’est uniquement faute de place. 

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Il est 8 heures. Le public commence à entrer. Tandis que la Carmagnole fait résonner la rue de ses accents féroces, la salle s’emplit. Les chaises sont bientôt prises. Sur l’estrade le bureau prend place, et nos amis s’entassent, formant une impressionnante pyramide humaine. On entre toujours : mais la plus grande partie de la salle est vide de chaises; aussi la majorité du public est-elle debout. Les conversations sont très animées, une chaleur étouffante nous étreint et redouble l’énervement que font déjà peser sur nous l’émotion et l’incertitude de ce qui va se passer. Les chants continuent toujours dans la rite, et par les fenêtres ou peut voir l’agitation des groupes qui s’interpellent et les visages haineux sur lesquels la lumière d’un café et du théâtre viennent jeter une tonalité étrange et quelque peu sinistre. Tout à coup, un roulement de tambour se fait entendre dans le lointain : c’est un bataillon de gardes municipaux qui arrive. Il prend place dans la rue de la Gaîté, en face des Mille-Colonnes, tandis que, parmi l’effervescence et le malaise indescriptible qui traversent l’assemblée, notre ami Marc Sangnier se lève pour prendre la parole. 

Discours de Marc Sangnier. 

Au Sillon, explique l’orateur, nous ne faisons pas de politique, mais dans certaines circonstances, lorsque nous voyons, par exemple, contester ou violer les droits primordiaux de l’humanité, « il nous est impossible de rester impas­sibles ». 

A quel spectacle assistons-nous? A un étonnant mélange de faiblesse et de tyrannie. (Applaudissements.) 

Un artiste peintre, M. Jean Louis, ayant crié : « Vive Combes ! A bas la calotte ! », se voit maltraité par des énergumènes que nous réprou­vons entièrement. Acculé au comptoir de la salle, il a le poignet démis : des camarades de la Jeune Garde se précipitent à son secours; un de nos commissaires l’accompagne chez un pharmacien. 

Une voix: A bas Charbonnel ! 

C’est l’ex-abbé qui pénètre dans la salle. Un tumulte et une bouscu­lade se produisent. Des auditeurs trop zélés veulent l’expulser. Mais la Jeune Garde et quelques amis facilitent l’accès à la tribune de M. Charbonnel. 

Marc Sangnier le prend en quelque sorte sous sa protection, un peu hautaine. 

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Camarades, dit-il, quelque chose de grand et de terrible se passe ici. Cet homme n’est pas un adversaire comme les autres. Il est et demeure marqué au front d’un signe sacré qui domine et déborde, malgré tout, ses trahisons mêmes. Ce Dieu qu’il renie, ce Christ qu’il combat, il l’a appelé jadis sur l’autel, tandis que ses mains consacrées tenaient l’hostie… Comment la violence ne tombe­rait-elle pas, camarades, en présence d’une si épouvantable détresse morale… Nous devons le plaindre d’une douloureuse pitié. Le Christ n’a-t-il pas sur la croix prié pour ses bourreaux?… Ceux-là mêmes qui ne partagent pas notre croyance ne sentent-ils donc pas toute la mystérieuse épouvante du spectacle qui nous est offert? Ne sont-ils pas étreints, eux aussi, comme d’un religieux effroi?… 

La salle est reconquise ; les cris de haine, les menaces, les protestations se sont tues. Le président du Sillon reprend son discours : 

On veut, dit-il, arriver à la dénonciation du Concordat, et plus exactement, « on veut l’escamoter par la terreur. » 

Par quoi le remplacera-t-on? 

Par le système Pressensé ? C’est anéantir la liberté des prêtres et la liberté de l’Eglise. « Cette servitude nous a paru trop honteuse ». 

Puis, quels seraient les résultats de la dénonciation du Concordat, et d’une politique plus antireligieuse encore ? J’en vois trois, dit Marc Sangnier. 

1° Une diminution de notre prestige dans le monde; 

2° Une conséquence matérielle. Les erreurs de M. Combes coûtent cher aux contribuables 

3° On veut nous convertir à une doctrine par la force; et nous nous révol­tons contre cette odieuse prétention. 

Vous parlez de danger clérical. Il y en a un, en effet, aujourd’hui, mais il ne vient pas de l’Eglise. Si le cléricalisme est une doctrine qui consiste à confondre les deux pouvoirs, le temporel et le spirituel, il n’y a aujourd’hui qu’un danger clérical, c’est l’odieuse pression de la franc-maçonnerie, qui veut imposer par la force de son gouvernement l’obéissance à sa métaphysique. 

(A ce moment, Henry Bérenger prend place à l’estrade, aux côtés de M. Charbonnel). 

Peu nous importe, au reste, votre intolérance. « La grande erreur des sec­taires qui veulent opprimer l’âme de la France, c’est de croire qu’on peut étouffer une doctrine par la violence ou la légalité. Le sang même des martyrs est une semence de chrétiens ». (Longs applaudissements.) 

Peut-être même les adversaires de l’extérieur, ceux qui veulent saccager les églises, fermer la bouche des orateurs sacrés, et établir sur les ruines de la 

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religion le culte de l’Etat, sont-ils moins redoutables au catholicisme que ses ennemis intérieurs. 

Puis l’Eglise est l’éternelle vivante. On veut la faire périr, et jamais ses temples n’ont été plus remplis. Il y a un extraordinaire réveil de la vie reli­gieuse dans notre pays, et si nous dédaignons tout ce qui n’est que convention ou habitude, si nous nous refusons à voir dans la religion une affaire de mode, si nous avons même des sourires pour le bon ton des plus hautes sphères de la défense républicaine, où les premières communions ne sont pas encore oubliées, e’est que la religion pour nous n’est pas une question mondaine ou un usage, mais une vie. L’Eglise a d’éternels réveils. 

Qu’avons-nous, dés lors, à craindre ? Quelques bandes misérables ? Nous avons seulement « le devoir de les plaindre. » (Applaudissements.) 

Mais, quant à nous, nous avons raison de nous défendre, parce que la doc­trine grandit par les persécutions, s’épure, se précise, et que notre temps est peut-être plus apte qu’aucun autre à montrer ce que le catholicisme peut faire pour féconder notre démocratie naissante. 

« Ceux qui se sont dits les défenseurs de la République n’en ont été que les geôliers » (Applaudissements). Ils ont donné le signal de je ne sais quelle marche en arrière, ils ont essayé de faire oublier les problèmes économiques et sociaux qui divisent pour affermir leur majorité par un infécond antichristianisme. Nous, serons-nous une digue ? Non. Et tandis que nos amis s’efforcent, pour substituer aux classes dirigeantes disparues, de créer une élite ouvrière, qui sera la véritable classe dirigeante de l’avenir (Tonnère d’applaudisse­ments), tandis que, convaincus que la doctrine du Christ a seule fondé la démocratie, nous travaillons à la réaliser, vous continuez de nous opposer vos rigides lois de la sélection naturelle, et vous ne pouvez, en somme, que vous ruer dans le césarisme. 

Puisque la vraie question qui se pose aujourd’hui est une question démocra­tique, il faut au moins laisser aux catholiques une place dans la démocratie, et favoriser même l’action de leur doctrine, qui est un ferment de transformation immédiate : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel! » (Applaudissements). 

Si donc nous ne servons ni ne poursuivons aucun parti politique, nous ne recon­naissons à personne le droit de dire ceux-ci ne sont pas de bons démocrates. 

On dit que nous sommes les ennemis de la République’? « Ne l’aimons-nous pas au contraire, jusqu’à vouloir la libérer ? » (Applaudissements). Pour la délivrer, il ne suffit pas de crier vive la liberté ! Si la liberté est un droit, c’est avant tout un devoir. Nous avons à chaque instant le devoir de nous libérer, et un pays qui tolère M. Combes devrait crier, non pas : à bas Combes ! mais : à bas moi-même ! puisque j’ai la honte de le tolérer. (Longs applaudis­sements). 

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Nous ne concevons pas, au reste, une démocratie sans traditions; car le vrai progrès, c’est la tradition en marche, et si nous considérons que la France a toujours été comme le champ d’expériences de l’humanité, nous entendons ne pas détruire la patrie, car ce champ d’expériences est nécessaire à l’humanité, la France est nécessaire au monde. Nous sommes donc en quelque sorte des patriotes internationalistes, et nous avons confiance que la France élaborera de plus en plus les idées utiles à l’humanité. 

De là notre confiance dans le travail des jeunes catholiques des Cercles d’études. De là aussi notre mépris pour la politique, notre aversion pour la conception même d’un parti catholique. (Applaudissements.) 

La religion domine tous les partis. 

Elle est même anticléricale, selon les prescriptions du Christ lui-même. 

Pour nous, nous entendons être les « entêtés de l’amour. » Sans doute, nous saurons nous défendre et empêcher qu’on assomme dans les églises. Mais nous nous rappellerons sans cesse que l’Eglise. avant même de convertir les peuples, les a courbés sous le poids de ses bienfaits; qu’il faut, selon le mot de Pascal, avant de prouver la vérité de la religion, faire désirer qu’elle soit vraie. 

Aussi, nous occuperons-nous, malgré les menaces. de notre grand labeur l’organisation des I. P., des syndicats, des coopératives, etc. 

Il faut du courage pour se livrer, au milieu des calomnies et des persécu­tions, à ce grand travail. 

Mais nous avons confiance… 

Et voilà pourquoi nous avons tenu, en plein torrent de passions déchaînées, à prononcer des paroles de paix et d’amour, car « l’amour est plus fort que la haine ». (Longs applaudissements). 

Nous saurons donc mourir, car ne pas se défendre est une lâcheté. Mais nous n’attaquerons jamais, nous ne haïrons jamais. (Applaudissements.) Si c’était un devoir d’affirmer notre attitude présente, nous savons bien que les professionnels de l’émeute disparaîtraient bientôt, que le sang même de l’innocent servirait à fonder la démocratie véritable, l’égalité, la liberté, et qu’une « Eglise persécutée vaut mieux qu’une Eglise asservie et humiliée. » (Applaudissements.) 

La suppression du Concordat ne nous effraie pas. 

Nos adversaires peuvent bien raser nos églises Mais il y a quelque chose qu’ils ne feront jamais, c’est de détruire notre amour de la liberté, c’est de chasser le Christ de nos cœurs … (Acclamations.) 

Les faibles mains de quelques hommes qui passent ne sauraient étouffer celle qui ne peut pas mourir. 

Il n’y a même pas de plus beau triomphe que les persécutions d’aujourd’hui : « on ne lutterait pas tant contre un cadavre » (Applaudissements.) 

Donc, Camarades, nous triompherons non parce que nous sommes plus 

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nombreux, non parce que nous sommes plus puissants, mais parce que notre Démocratie désire inconsciemment le Christ qui seul peut la faire vivre, parce que les sectaires violents se prendront eux-mêmes aux lacets malfaisants de leurs propres desseins, parce que, pauvres et faibles, inconnus des uns, raillés des autres, en proie aux plus cruelles persécutions, Dieu nous pousse irrésis­tiblement vers l’avenir. 

Nous sommes les fils de l’universel Amour. 

Nous sommes plus forts que la Haine. 

Une salve d’applaudissements éclate. Il y a dans la salle cinq minutes d’un irrésistible enthousiasme. Les cris de : « Vive Sangnier I » reten­tissent de toutes parts. Si tout l’auditoire n’est pas converti, tout le monde est ému. 

Les Contradicteurs 

Marc Sangnier annonce que MM. Charbonnel et Bérenger vont prendre la parole : un frémissement court dans la salle. Va-t-on laisser parler l’ancien prêtre? Mais, en termes émouvants, le président du Sillon demande pour lui un absolu silence. 

Je compte, camarades, que vous écouterez celui qui va parler dans le plus absolu, dans le plus religieux des silences… Ce n’est pas une contradiction ordinaire. Voilà longtemps, certes, que je redoutais une semblable rencontre, et il me semble que je suis en présence de je ne sais quel terrible et redoutable mystère, dont l’horreur m’étreint le cœur. Tout cri, toute injure serait comme une profanation… Quel autre sentiment pourrions-nous ressentir, qu’une dou­loureuse, qu’une immense pitié?… 

Donc, camarades, je vous en supplie, au nom de la Cause sainte que nous défendons, pas un cri, pas un mot, pas un souffle. 

Et se tournant vers M. Charbonnel : 

C’est une question de loyauté, Monsieur. La réunion est publique. Quelle que soit la violence de l’indignation qui angoisse les âmes, vous pouvez parler : nul ne vous interrompra. 

Et vous, camarades, soyez assez forts pour vous vaincre vous-mêmes, pour écouter jusqu’au bout. 

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Quelques auditeurs murmurent. Mais notre ami reprend avec force 

Oui, vous le devez. Notre Maître lui aussi fut couvert des insultes et des crachats de ceux qui l’avaient renié… Etes-vous plus grands que Jésus-Christ?… 

M. Victor Charbonnel à la tribune 

Et M. Charbonnel s’avance au bord de la tribune. Et l’on ne perd pas une de ses paroles ; car cette salle, qui tout à l’heure hurlait à son entrée, l’écoute maintenant, frémissante, mais sans un cri. Une étrange émo­tion saisit tous les assistants. Rien n’est plus poignant que ce silence. 

Eh bien ! oui, dit M. Charbonnel, qui semble très maître de lui, je suis le défroqué, l’ancien prêtre ; je suis même devenu le chef des Apaches. 

C’est entendu… Je sais que ma tâche est difficile : mais la vôtre ne l’est pas moins. Vous aurez besoin de patience, pour entendre jusqu’au bout ce que j’ai à vous dire… 

J’ai à répondre d’abord à des attaques contre ma personne. M. Sangnier vient de me dire qu’il n’avait pour moi qu’une pitié douloureuse. Votre pitié, je n’en ai pas besoin… Mais je me réjouis que cette pitié soit douloureuse. Car cela prouve que vous souffrez des coups que je vous ai portés… 

Un murmure s’élève, aussitôt réprimé. M. Charbonnel continue : 

C’est moi qui mène la campagne contre l’Eglise. C’est moi qui ai entrepris cette œuvre immense de lutter contre les cléricaux. Parmi eux il y a des adversaires que je méprise ; ce sont les lâches et les hypocrites. Mais il y en a que j’estime : ce sont les militants comme vous. Oui, je ne crains pas de le dire, je vous estime parce que vous me semblez des fanatiques, de même que moi, je suis un sectaire… Mais je réprouve la violence. A Aubervilliers, nous n’avons pas frappé ; nous y avons été sans armes… 

A entendre M. Charbonnel réprouver la violence, les catholiques s’in­dignent. Une ou deux interruptions, puis des « chut » énergiques, puis de nouveau tous se taisent. Par les larges fenêtres, grandes ouvertes, montent le chant de l’Internationale, celui de la Carmagnole, des cris violents de « A bas la calotte »… 

M. Charbonnel continue son discours, quelque peu incohérent, et jette au hasard, sans ordre, des explications, des attaques, et des paroles pacifiques. 

Ne me reprochez pas d’être sorti de l’Eglise. Voudriez-vous que ne croyant pas, j’aie continué à monter dans les chaires de Paris ?… S’il n’y avait pas chez 

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vous tant de prêtres à la foi incertaine, si tous les catholiques étaient des convaincus comme vous, comme Marc Sangnier, l’Eglise serait plus forte… 

A ce moment, Marc Sangnier se penche vers M. Bérenger. Nous les entendons échanger ces quelques paroles : 

Eh ! bien, que dites-vous de ce silence? Est-ce que nos amis ne sont pas des penseurs libres?… — Si, avoue M. Bérenger — Obtiendriez-vous cela des vôtres? — Je ne le crois pas. Ceux-ci sont mieux disciplinés. 

Maintenant, M. Charbonnel nous entretient des incidents d’Auber­villiers 

Nos gestes n’étaient pas des gestes de violence, mais seulement des gestes de protestation… Le culte jouit du privilège du Concordat que nous respectons. Je serais le plus odieux de tous si je pensais qu’il faut faire appel à la violence ; et si demain les nôtres allaient, sans raison, expulser par la force ceux qui viennent dire des prières dans les églises, nous les condamnerions… 

Mais nous avons voulu seulement protester contre le sermon d’un dominicain et montrer que le gouvernement est incapable de foire appliquer la loi… 

Selon la régIe de nos réunions publiques, M. Charbonnel ne devrait parler que dix minutes ; mais il occupe la tribune depuis un quart d’heure. Le président le lui fait courtoisement remarquer. 

Je termine, répond-il pour me conformer è vos règles ; car je reconnais que vous m’avez rendu la tâche beaucoup plus facile que je ne le pensais… 

Il ajoute encore quelques mots. Nous relevons cette phrase « Marc Sangnier, dont les idées ont certainement pénétré très profondément dans cette démocratie des Instituts populaires… » 

Puis il effleure la question de la séparation de l’Eglise et de l’Etat : 

C’est un énorme mensonge social, dit-il, qu’une République qui se dit non confessionnelle entretienne le clergé pour le domestiquer. .. C’est ce que disait M. Combes « Nous entendons tenir le clergé par l’argent. » Ainsi le gouver­nement veut enchaîner la liberté. Que pensez-vous de prêtres qui acceptent un tel marché?.. » 

Marc Sangnier répond. Il fait remarquer combien l’attitude de la salle a été digne 

Il est démontré maintenant que la liberté de discussion existe chez nous. M. Charbonnel a pu parler au milieu d’un silence qu’il y a quelques jours encore on eût appelé un silence d’église… (Applaudissements.) 

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Il y a une contagion du bon exemple. Et peut-être bien est-ce à cause de la dignité de votre attitude que M. Charbonnel a été si peu violent : car le lan­gage qu’il vient de tenir ne ressemble guère aux articles de l’Action et aux conférences qu’il a l’habitude de donner devant ses amis. 

M. Charbonnel s’est défendu. Ce n’est pas à moi de faire son examen de conscience. Une âme est un sanctuaire dans lequel nous n’avons pas le droit de pénétrer… (Applaudissements.) 

Jamais nous n avons songé à reprocher à M. Charbonnel d’être sorti de l’Eglise. S’il ne croyait plus, il a eu raison de le faire… mais il devait tout au moins, ayant perdu la foi, ne pas s’acharner à détruire une espérance qu’il avait eue… (Vifs applaudissements.) 

Et alors, aux applaudissements de l’auditoire, il reprend les affirma­tions de M. Charbonnel. Il le contraint de tirer de ses affirmations toutes leurs conséquences. 

Vous réprouvez la violence, soit ; mais il y a certains hommes qui tentent d’imposer par la force leurs convictions… Il importe que vous désavouiez ces hommes, comme nous le faisons pour ceux qui se disent les disciples du Christ et qui trahissent ses enseignements. 

La salle applaudit. M. Henry Bérenger aussi. 

Il faut, continue l’orateur que vous reconnaissiez que la rue n’est pas seu­lement aux bandes anticléricales, que la rue est à tout le monde. 

Mais, parfaitement, répondent MM. Bérenger et Charbonnel. 

— Tout à l’heure, continue Marc Sangnier, nous allons sortir en masse ; nous nous rendrons tous au Sillon, où nous avons organisé un meeting privé. C’est notre droit le plus absolu. (Vifs applaudissements.) 

Eh bien ! nous allons rencontrer vos amis, dont vous entendez en ce moment les cris de haine… 

A ce moment, les clameurs du dehors redoublent, contraste étrange avec le calme de nos amis. 

Je veux croire que leur conduite ne donnera pas un démenti à vos paroles… Je veux croire que nous ne serons pas assaillis par ces hommes, dont le chant préféré est la Carmagnole, que vous-même êtes contraint de déclarer odieuse. 

Et M. Bérenger approuve encore, et il applaudit… Après avoir ainsi forcé ses contradicteurs à prendre l’engagement d’empêcher les vio­lences, ou du moins d’en désavouer les auteurs, Marc Sangnier constate qu’on l’a fort peu contredit. 

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Je sais bien, ajoute-t-il, que l’on a coutume de me traiter d’hérétique, ainsi que l’a fait le camarade Bérenger lui-même au cirque de Tours. 

— Et je vais recommencer, dit, de sa place, M. Henry Bérenger. 

— Le camarade Bérenger est décidément un grand inquisiteur, constate Marc Sangnier au milieu des rires. — J’ai donc le droit d’affirmer qu’il n’y a entre l’esprit démocratique et le véritable esprit chrétien aucun divorce, puis­que toutes les fois que nos doctrines sont connues exactement, on en est réduit à ce mauvais argument… (Longs applaudissements.) 

Au moment où Marc Sangnier, s’assied, deux ou trois antisémites réclament avec fureur M. Régis. Mais le public n’est pas de leur avis. La salle presque tout entière proteste et ne semble aucunement disposée à le laisser parler. Au contraire c’est avec une énergique insistance qu’elle demande Bérenger qui devait prendre la parole après M. Charbonnel, ainsi qu’il était convenu. Notre ami Clevers pose nettement la question à l’assemblée qui répond : « Oui, oui » et sur l’air des Lam­pions : « Bérenger ! Bérenger ! » 

Contradiction d’Henry Bérenger. 

Henry Bérenger prend alors la parole : 

Citoyennes, citoyens, je remercie les organisateurs de cette réunion d’avoir invité ici un ancien prêtre et un républicain socialiste anticlérical… Nous vous remercions sincèrement, loyalement, d’avoir démontré que la libre pensée est devenue la régIe de la discussion… A Tours, nous avons accueilli M. Marc Sangnier, et jusqu’à minuit et demi nous avons pu discuter… Vous nous faites le même accueil, vous nous le faites avec plus de calme encore… 

Ces paroles sont soulignées par de nombreux applaudissements ; ne sont-elles pas une sorte de gage à nous donné, et annonçant autant que possible le calme de la part de nos adversaires ? 

La parole, reprend-il, est la seule arme dont nous devions nous servir. Je suis allé à Aubervilliers non dans l’intention de troubler l’assemblée des fidèles. Je dois remarquer du reste que seul le suisse n’a pas fait son devoir, car les catholiques ne m’ont pas frappé. 

Ces premières paroles du citoyen Bérenger semblent dictées par un esprit de conciliation et d’apaisement que l’on ne peut qu’approuver, mais jusqu’où devons-nous y ajouter foi ? La suite nous l’apprendra… 

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Il se plaît à nous rappeler l’esprit de l’Evangile : « Vous êtes chrétiens. Vous devez tendre la joue gauche, quand on vous frappe sur la joue droite ». Vraiment il est plaisant de s’entendre répéter ces paroles par des gens qui ne semblent pas précisément autorisés à le faire ; aussi des pro­testations se font-elles entendre. Cependant il continue son langage d’amé­nité : « Je suis allé à Aubervilliers parce que j’estime que la liberté du culte doit être respectée ; c’est dans le silence le plus complet que j’ai assisté à l’office, et je me demande quel acte de violence j’ai commis quand j’ai simplement posé au Père Coubé la question : « Citoyen Coubé, « êtes-yous autorisé à parler dans cette chaire? » —Puis une protestation respectueuse sort de ses lèvres : « Jamais je ne permettrai d’attaquer des croyances qui ont été celles de ma famille. Oui, je crois que le sens reli­gieux est inné dans l’humanité. » Que M. Bérenger ne répète-t-il ces belles paroles à ses amis ! Sans doute il prétend les leur dire chaque fois qu’il en a l’occasion, mais qu’il nous permette d’en douter, si nous ne pouvons juger ses amis qu’à leurs actes. 

« Ce que je n’admets pas, reprend-il d’un ton moins onctueux, c’est qu’un jésuite romain monte dans la chaire d’une Eglise nationale pour insulter la République ! » De violenta applaudissements éclatent parmi les anticléricaux, ce qui n’attire pas, il convient de le dire et d’y insister, de la part de nos amis la moindre protestation ; ils gardent le silence le plus complet. Puis l’orateur nous découvre le fond de son cœur et de sa pensée « Je ne suis pas de ceux qui cachent leur drapeau. Je considère le catholicisme comme néfaste. Je respecte ce qu’il y a eu de noble et d’hu­manitaire dans la personne du Christ, mais ce que je réprouve ce sont les altérations que l’Eglise a fait subir à sa doctrine à partir du IVe siècle. » 

Mais M. Bérenger ne peut se lancer dans des discussions théologiques et il revient aux attaques dont les églises ont été l’objet. Il prétend que les incidents de Reims ont été faussés par M. de Montebello « qui est Lannes par son grand-père, mais qui n’est Montebello que par son champagne »; cette plaisanterie n’est pas du goût du public et pro­voque du bruit dans la salle… « J’ai dit, dans une conférence, continue l’orateur, qu’il ne fallait pas envahir les églises… Lorsque nous faisons appel à la libre-pensée, en quoi attentons-nous aux rapports de l’homme avec l’infini? » Et il insiste avec complaisance sur ces rapports de 1’homme avec l’infini, et se lance à cette occasion dans des affirmations aussi vagues qu’énergiques. 

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Il termine enfin en faisant appel à la paix. 

Marc Sangnier se lève, et répond à son contradicteur : 

Nous marchons d’étonnement en étonnement ; nous venons d’entendre un acte de foi et un acte de ferme propos ; et nous sommes presque d’accord avec le camarade Bérenger. Sur un point cependant notre pensée n’est pas sem­blable. Il assimile les actes du culte aux discours des réunions publiques que l’on peut contredire ; or il y a une différence entre les sermons et les réunions contradictoires. Que fait un citoyen qui va dans une assemblée pour poser, au prédicateur une question comme celle du camarade Bérenger, sinon l’office d’un commissaire de police ? 

Ces paroles provoquent des protestations nourries chez les anticlé­ricaux. Bérenger déclare que Victor Hugo n’a pas fait autre chose, que Thiers et Guizot ont défendu la légalité en 1830. Marc Sangnier explique sa pensée. « La loi la plus impérieuse, dit-il, c’est la cons­cience universelle et c’est à elle que nous devons avant tout obéir. — Si une loi ne vous convient pas, répondent les contradicteurs, vous avez le suffrage universel pour la renverser. — Quand même une loi est votée par la moitié plus un des citoyens, reprend Marc Sangnier, cela ne veut pas dire que la loi soit juste et il y a toujours la loi naturelle qui domine celle des législateurs. » — M. Charbonnel, de sa place, s’ écrie : « C’est du césarisme, vous n’êtes pas républicain » — En ce qui concerne la souveraineté romaine dénoncée par le citoyen Bérenger, Marc Sangnier lui fait remarquer que Rome n’est pas maîtresse de la France. 

Aussi bien je répéterai toujours ce que j’ai dit au cirque de Tours, que le pape ne peut pas être considéré comme un citoyen français ayant autorité pour diriger les affaires nationales. On ne doit pas faire un parti au nom de l’Eglise, il n’y a pas un parti politique catholique. 

Et sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat : 

L’Eglise ayant toujours affirmé qu’elle était une société « parfaite », c’est-à-dire autonome et indépendante, et l’Etat ayant justement cette même préten­tion, comment voulez-vous que ces deux sociétés qui ont les même individus comme sujets puissent — sans entrer en lutte et sans que l’une finisse par absorber l’autre, ce qui est justement le « cléricalisme » — coexister sans qu’il y ait entre elles certains rapports définis : si vous supprimez le Concordat, vous serez contraints à définir un autre mode de relation. 

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Enfin, notre ami achève son discours par ces quelques mots : 

Nous triompherons, car rien ne pourra lutter contre cette foi ardente qui nous pousse et qui nous fait croire que les catholiques de France peuvent tra­vailler à la grande tâche démocratique. 

Pour terminer, disons en quelques mots l’impression que nous laisse cette frémissante réunion. Au début, la salle était houleuse et pro­fondément troublée ; une indécision pénible nous énervait et nous ne pouvions prévoir la tournure que prendraient les choses. Au moment où M. Charbonnel fit son entrée dans la salle, un tumulte s’éleva, se prolongeant pendant dix minutes environ et mettant Marc Sangnier dans l’impossibilité absolue de continuer son discours. Cependant le calme revient peu à peu; la parole vibrante et enflammée de notre ami se fait entendre jusqu’au bout; il obtient le même silence pour M. Charbonnel et ce n’est pas là une mince victoire ; enfin c’est au milieu d’un enthousiasme général et d’une immense et reconnaissante ovation que s’achève cette réunion où le Sillon vient de remporter une fois de plus un éclatant triomphe pour la Cause sacrée qu’il défend. 

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LE MEETING SANGLANT 

De la Salle des Mille-Colonnes au Sillon. 

Après la réunion publique de la salle des Mille-Colonnes où notre ami Marc Sangnier avait obtenu qu’on entendît sans protester M. Char­bonnel et Henry Bérenger, nous étions en droit d’attendre de la part de nos adversaires un accueil tout autre que celui qu’ils nous ont fait. M. Charbonnel lui-même avait été surpris de la tolérance de ses audi­teurs et il avait prétendu blâmer la violence. L’attitude que lui et son ami avaient montrée dans la salle nous semblait un engagement tacite pour la sortie; nous allons voir avec quelle loyauté ils l’ont tenu.

Nos amis ont voulu les protéger jusqu’au seuil même de la salle, jusqu’aux dernières marches de l’escalier. Quoique l’Action imprime faus­sement que c’est au milieu de leurs partisans que Charbonnel et Bérenger ont descendu cet escalier, il n’en est rien, ce sont bien nos amis qui les ont entourés et gardés jusqu’en bas. 

La foule manifestait et menaçait depuis le commencement de la soi­rée. De la rue montaient les cris et les invectives, les sifflets et les chants, la Carmagnole et l’Internationale. L’orage grondait. L’impatience et l’irritation de ceux qui n’avaient pu pénétrer dans la salle se faisaient d’instant en instant plus violentes. En outre, les manifes­tants avaient déjà un mécompte à leur actif ; durant la réunion une grande partie d’entre eux s’était dirigée vers l’église de Plaisance, et là, force seaux d’eau leur avaient été versés sur la tête. Ils s’étaient rués sur les portes de l’église, cherchant à les enfoncer, mais ils n’y étaient pas parvenus ; une charge de la police les repoussa, au cours de laquelle un agent fut frappé d’un coup de casse-tête et dut être emporté à l’hô­pital Broussais. 

Cependant, la sortie des Mille-Colonnes s’effectue. Des agents et des gardes municipaux occupent la rue de la Gaîté. A peine M. Charbonnel et Henry Bérenger ont-ils retrouvé les leurs que nous assistons à ce spectacle honteux un rédacteur de l’Action qui avait siégé sur l’es­trade, protégé par nos amis, se met à désigner à la fureur de ses aco­- 

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lytes ceux mêmes qui s’étaient constitués ses gardiens ; nous laissons à nos lecteurs le soin d’apprécier la conduite de ce sinistre personnage. D’autre part, on voit, malgré leurs précautions, des bourgeois donner des ordres à des apaches; on nous dit même que des agents en bour­geois excitent la foule et sont les premiers à pousser des cris hostiles aux catholiques. Marc Sangnier en tête, nous descendons la rue de la Gaîté pour nous rendre au meeting du Sillon. Les apaches ne tardent pas à se montrer sous leur aspect le plus naturel et le plus repoussant à la fois. Ce sont d’abord les injures qui leur sont familières : « A bas la calotte », « Flamidiens », « Hou, hou » ; mais cela ne les satisfait pas ; à ces moyens platoniques, ils prêtèrent des gestes significatifs ; un de nos amis est appréhendé au collet par une femme qui, pour mieux lui prouver sa haine féroce, l’invective grossièrement et lui crache au visage avec fureur. Cela n’est rien encore ; l’un de nous est assailli par une bande qui l’assomme à coups de cannes plombées ; le malheureux est couvert de sang ; ayant réussi à se réfugier dans un café, il tombe au milieu d’une autre bande qui lui fait le même sort ; la patronne du café parvient à l’abriter dans une cave, ce qui empêche les bandits de l’ache­ver. Pendant trois heures il reste là, évanoui. Un autre de nos amis se trouvant seul et entouré d’une multitude de ces bandits demande protec­tion à un agent; celui-ci lui rit au nez ; il attend patiemment derrière lui que plusieurs des nôtres passent pour se joindre à leur groupe. 

Les coups se font de plus en plus nombreux quand, soudain, notre camarade Nazet s’affaisse; on vient de lui porter un coup de cou­teau ; le sang ruisselle d’une blessure au cou ; le pauvre garçon est transporté à Laënnec dans un état très alarmant. Cet hôpital refuse de le recevoir : le sommeil des internes est sans doute plus précieux que la vie de ceux qui se font tuer pour leurs idées. 

A l’angle de la rue d’Odessa une bagarre nouvelle se produit ; les agents n’ont pu arrêter nos adversaires qui jouent plus que jamais de la matraque et du casse-tête. M. Bouvier, commissaire divisionnaire, reçoit un coup terrible sur la tête ; soutenu par deux agents, il est con­duit dans une pharmacie. Les pharmacies d’ailleurs se remplissent de blessés. Dans l’une d’elles, l’un de nos amis, Henri Vermeersch, médecin, soigne deux apaches qui ont été assez gravement blesses. 

Nous descendons toujours. Sans un cri de provocation, en rangs ser­rés et nous donnant le bras, nous atteignons la rue du Cherche-Midi. 

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Soudain, une charge violente de nos adversaires nous assaillit par der­rière. Les coups de cannes plombées tombent drus et rapides. Une voi­ture de laitier est dévalisée et on nous lance à la tête des boîtes à lait, des bouteilles et bientôt des pavés qu’apportent d’autres manifestants. Le bruit des boîtes à lait qui s’abattent sur les têtes est tel que quelques-uns de nos amis croient un instant à une bombe. Une poussée terrible nous porte en avant. Nous nous trouvons séparés les uns des autres. Notre ami de Sailly est entouré en une seconde par une dizaine d’apaches qui le frappent à coups redoublés ; ils le jettent à terre ; il reçoit même un coup de couteau ses vêtements sont lacérés, le sang jaillit, les misé­rables veulent lui arracher sa canne ; il la tord bravement afin de ne pas leur fournir une arme. Les apaches s’appellent à coups de sifflets; ils passent à côté de Marc Sangnier et de Laurentie qui sont momenta­nément isolés, en criant « Où est-il le cochon, qu’on l’assomme. » S’ils avaient vu notre ami, ils le tuaient certainement. — Rien ne les arrête. La rue leur appartient. Nous citons ici quelques lignes des Débats qui donnent une impression exacte du spectacle: « On devait donner des preuves qu’on était soi-même libre-penseur à la manière de ces messieurs : si la preuve était jugée insuffisante, on risquait de rester sur place. On s’entendait demander : Qui êtes-vous? D’où venez-vous? Montrez votre carte ! Et au moindre indice qui déplaisait, les coups de poings se mettaient de la partie, les bâtons se levaient et retombaient sur les têtes, le sang inon­dait la chaussée… — Il est heureux, mais surprenant, que personne n’ait été tué. » — Et plus loin : 

« A l’entrée de la rue de la Gaîté, ces individus qui, en raison de leurs mœurs, sont maintenant connus sous le nom d’Apaches, avaient orga­nisé de véritables barrages qu’on ne pouvait franchir qu’en s’engageant ensuite entre une double haie d’individus, sorte de filets d’où l’on ne pouvait sortir qu’en montrant patte… rouge. 

« C’est à ce barrage qu’un de nos collaborateurs, que nous avions envoyé à la réunion du Sillon, a été appréhendé. Assailli d’abord par quelques voyous, il parvint à les calmer. Puis, ainsi qu’aurait fait un véritable service d’ordre organisé par la police elle-même, on exigea qu’il montrât des pièces justifiant de sa qualité de journaliste et qu’il était bien là par devoir professionnel, ainsi qu’il le disait. 

« Notre collaborateur se piéta à toutes les exigences et sortit son coupe-file. 

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« C’est le Journal des Débats, cria très haut un homme d’une quarantaine d’années. 

Les Débats, répondit une autre voix, Charbonnel a dit que c’était de la calotte ; n’en faut pas. 

« Ce fut comme un signal. 

« Un coup de canne, puis deux, puis trois, vinrent s’abattre sur la tête de notre collaborateur, faisant jaillir le sang jusque sur son coupe-file qu’il tenait à la main. Quelques coups de pied lui furent lancés dans l’abdomen ; heureusement ils portèrent à faux. Notre collaborateur se dégagea péniblement et put se sauver chez un marchand de vin qui fait l’angle de la rue d’Odessa et du boulevard Edgar-Quinet. Mais là il trouvait un accueil peu hospitalier. La tenancière de l’établissement ordonna à son garçon de salle de le faire sortir. Notre collaborateur, ruisselant de sang, dut se défendre, afin de ne pas tomber entre les mains de la bande qui le poursuivait. Il fut enfin protégé par un étudiant en pharmacie, M. Louis Loidrean, qui, quelques instants après, parvenait à le conduire à la pharmacie Bouilly, place de Rennes.

La lâcheté de ces bandits se fait plus odieuse et plus impudente à mesure que nous avançons ; ils ne veulent pas que nous leur échappions, mais, quoi qu’ils fassent, ils ne viendront pas à bout de notre volonté et de notre persévérance. Nous sommes décidés à user aussi fermement que possible du droit de légitime défense. 

Tentative d’assassinat. 

Nous voici maintenant boulevard Raspail. Des camarades viennent d’arriver par la rue de Varenne, et lions commençons à entrer, sur la présentation de nos cartes, dans l’enceinte des terrains vagues avoisi­nant le Sillon. Des torches s’allument, la cloche appelle et le meeting s’apprête. Mais des cris éclatent, plus violents encore. Nos adversaires se groupent en masse sur le boulevard Raspail à hauteur de la rue Chomel. Les sifflets, les injures, la Carmagnole redoublent d’intensité les apaches sont menaçants. Une pierre vient briser le bas de la porte vitrée du Sillon. 

A ce moment il se passe un fait inouï, et sur lequel il importe d’insis­ter énergiquement. Quelques-uns de nos amis prient les cinq ou six agents qui constituent tout le service d’ordre du boulevard Raspail 

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d’agir et de demander du secours, afin d’arrêter nos adversaires et pour que nous puissions organiser calmement chez nous notre meeting. Ceux-ci nous répondent flegmatiquement qu’ils n’ont reçu aucun ordre pour faire quoi que ce soit. Marc Sangnier leur demande s’ils nous lais­seront tuer sous leurs yeux sans faire un pas. Ils refusent obstinément de marcher, et leur état d’esprit se résume en ces mots que l’un d’eux répond à notre ami: « Je m’en f… » Deux de nos camarades vont au commissariat du VIIe arrondissement, rue Perronnet ; on leur dit : « Si vous étiez couchés, cela n’arriverait pas ». En présence de ce parti-pris scandaleux et de cette inertie hostile des agents et du commissariat, nous nous décidons à faire nous-mêmes la police. 

Nous allons tenter une sortie quand une double détonation de revolver retentit du côté de nos adversaires. Un fiacre est assailli par des individus armés de couteaux, de coups de poing américains et de cannes plombées. M. d’Etchegoyen, qui a pris place dans la voiture avec MM. Montazel et de Boisé, étant le plus menacé, vient de tirer en l’air pour intimider ses agresseurs. Des agents le conduisent au poste voisin. Pendant ce temps-là les apaches font pleuvoir sur nous tous les projectiles qui leur tombent sous la main, et comme ils n’en possèdent pas suffisamment à leur gré, ils arrachent les grilles des arbres, les brisent sur le trottoir et nous en jettent les morceaux à la tête. N’ayant pas d’armes, nous n’avons d’autre ressource que de ramasser ces projectiles pour leur renvoyer ou de diriger sur eux quelques torches enflammées… Et la police est toujours absente, et la bagarre devient de plus en plus menaçante et sanglante. 

Plusieurs de nos amis sont atteints et blessés, un agent a le crâne défoncé par un morceau de fer ; de part et d’autre le sang coule. 

Enfin M. Touny arrive avec ses agents; ceux-ci, quoique venus un peu tard, rétablissent l’ordre en quelques instants. Les apaches reculent non sans avoir assommé plusieurs personnes, notamment M. Guillaume, officier de paix, M. Martin. inspecteur principal, et sept ou huit agents. La bataille cesse et sur le boulevard Raspail ce ne sont plus que mor­ceaux de fer, projectiles de toutes sortes et aussi traces de sang. 

Nous pouvons alors pénétrer de nouveau dans le terrain attenant au Sillon. La réunion n’a plus qu’un caractère de protestation contre les faits qui viennent de se passer. Plusieurs personnes prennent la parole entre autres, M. Max Régis qui avait assisté au combat. Enfin notre ami 

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Marc Sangnier apprécie comme il convient les actes criminels des apaches qui n’ont cessé de montrer toute la soirée la brutalité la plus sanguinaire et la lâcheté la plus révoltante. Il était difficile de prévoir une telle conduite de la part des amis des hommes que nous avions pro­tégés aux Mille Colonnes, et envers lesquels nous avions montré un silence et une patience à laquelle ils ne s’attendaient pas. 

Nous ne pouvons ressentir qu’une profonde indignation à la pensée que ces hommes auraient pu dire une parole de paix et de calme à leurs partisans, cette parole que nous avions prononcée en leur faveur et que nous avions fait respecter, qu’ils nous avaient promise et qu’ils n’ont pas tenue. Nous étions persuadés que nous avions affaire à deux adver­saires loyaux, malheureusement les faits inqualifiables qui se sont passés, et dont plusieurs de nos amis ont été victimes, nous interdisent de persévérer dans cette première opinion. 

Quoi qu’il en soit, nous avons montré que nous savons nous défendre; la Jeune Garde a été admirable ; son commandant, notre camarade Lestrat. a été blessé d’un coup de matraque, et nous avons eu le spec­tacle d’une poignée de jeunes gens, ceux que l’Action nomme ironique­ment les « éphébes du Sillon » , tenant tète et faisant reculer toute une bande d’apaches, gens habiles et habitués au crime. Le courage de nos amis a intimidé la lâcheté des assassins enrôlés par M. Charbonnel et leur résistance leur a énergiquement signifié que, loin de nous laisser faire, nous étions disposés à mourir s’il le fallait pour la grandeur de notre Cause. 

Pendant le cours de la soirée, plusieurs de nos amis ont été blessés; parmi ceux qui ont été le plus gravement atteints, citons, outre ceux que nous avons déjà nommés, nos amis Taillefert, Gabriel Laurentie et Desplats. 

En terminant, il convient d’appeler l’attention de tous les honnêtes gens sur la bassesse inqualifiable de la presse socialiste. Le mensonge et l’erreur calculée sont accumulés en leurs articles, et il convient d’en donner des exemples. Nous avons déjà rapporté la conduite des direc­teurs de l’Action. Cette feuille déclare qu’à la salle des Mille Colonnes « on voit mettre à la porte plusieurs personnes qui sont jetées à bas de l’escalier d’entrée ; des femmes même sont brutalisées ». La Petite République dépasse tout ce qu’on peut imaginer. Elle débute ainsi : “ Une fois de plus, la gent cléricale a fait des siennes… Les cléricaux 

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non contents de provoquer les républicains, ont tiré sur eux des coups de revolver. » « Dans la salle des Mille-Colonnes, deux mille cléricaux se pressaient dès sept heures et demie, accueillant à coups de matraques et de cannes plombées les républicains qui tentaient d’y pénétrer. » Parlant du meeting du boulevard Raspail : « Nous entendons les paroles suivantes : « Eh! oui, nous la ferons, la guerre civile! Il faut les « massacrer tous! » — L’Action affirme que « des grilles en fonte qui protègent les arbres sont enlevées, brisées et servent d’armes aux amis de M. Sangnier », et la Lanterne : « Les grillages qui entourent les arbres du boulevard avaient été enlevés et brisés; les cléricaux les lançaient sur les libres-penseurs qui, indignés, se précipitèrent sur eux et leur infligèrent une correction méritée » (?) 

Est-il nécessaire d’opposer le plus formel démenti à ces honteux mensonges? Il n’y a pas un fait d’exact, pas un mot de vrai ; ces lignes sont un tissu de calomnies odieuses et d’insinuations perfides. Le procédé ne nous surprend qu’à demi de la part de ces feuilles ; il est simple; il consiste à jeter à la face de ses adversaires tous les crimes que l’on a commis soi-même et que l’on a honte d’avouer ; la raison et la loyauté la plus élémentaire semblent échapper à des gens qui ne vivent que des passions les plus violentes et de la haine la plus basse. N’y a-t-il pas de méthode plus vile que celle qui cherche à déshonorer ses adversaires; mais ne déshonore-t-elle pas avant tout et uniquement ceux qui l’em­ploient ? En vérité nous ne savons comment qualifier de pareilles manœuvres ; il nous suffira d’avoir dit la vérité avec toute la force de nos consciences pour que ceux qui auront lu ces faits soient soulevés d’une indignation légitime et d’une immense pitié pour ces misérables qui, prêchant la vérité, ont peur de la dire et mentent à sa face comme des enfants craintifs et lâches. C’est devant leur conscience que nous laissons nos adversaires ; nous ne doutons pas qu’ils soient suffisamment habiles pour continuer à défigurer les faits sous les dehors hypocrites de la loyauté la plus parfaite et qu’ils persévèrent ainsi à fausser l’esprit public et à exciter les passions détestables de la foule, nous ne doutons pas qu’ils entretiennent quelque temps encore l’œuvre de haine destruc­trice qu’ils ont entreprise, mais nous nous demandons avec effroi sons quel aspect leur apparaît le sentiment de leur dignité morale, s’il leur arrive par hasard de faire un retour sur eux-mêmes et d’écouter cette voix impérieuse et implacable qui vit obstinément au plus profond de notre âme et que rien n’est assez puissant pour étouffer. 

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APPEL AUX PENSEURS LIBRES 

Le Sillon, tenant à porter à la connaissance de Paris les crimes du samedi 23 mai, a fait apposer dans tous les arrondissements l’affiche suivante : 

CAMARADES, 

Notre réunion publique de la Salle des Mille-Colonnes s’est tenue dans un calme et avec une dignité que nous avions osé espérer, parce que, malgré toutes les haines et toutes les provocations à la violence, nous avons encore confiance dans la force triomphante de la bonne foi et de la loyauté. 

Monsieur Charbonnel et le citoyen Bérenger purent se faire entendre dans un silence auquel les réunions publiques ne nous accoutument pas et qui les étonna eux-mêmes. C’est l’honneur du Sillon d’avoir instauré de nouvelles mœurs, et tous, à quelques opinions qu’ils appartiennent, s’ils sont véritable­ment des penseurs libres, doivent s’en féliciter. 

L’ordre du jour suivant fut voté à l’issue de la réunion 

« Trois mille citoyens, réunis dans la Salle des Mille-Colonnes, le samedi 23 mai, après avoir entendu le discours du camarade Marc Sangnier et les contradictions de M. Charbonnel et du citoyen Bérenger, affirment leur volonté de faire respecter la liberté du culte, condamnent les moyens odieux dont on a usé pour y mettre obstacle, et proclament leur conviction qu’une démocratie véritable non seulement accepte, mais postule le catholicisme. » 

Nos amis se rendirent ensuite pacifiquement au Sillon, pour une réunion privée à laquelle ils étaient convoqués. Ils furent assaillis par des bandes d’assassins qui, aux cris de « A bas la calotte » et, tandis que la police était absente ou impuissante, tentèrent de les assommer en leur jetant des pierres et d’énormes morceaux de fonte, dont ils s’étaient armés après avoir brisé les grilles qui entourent le pied des arbres. Le sang coula, les blessures furent nombreuses et cruelles. Nos amis furent atteints en grand nombre. Ils se décidèrent enfin à charger sur leurs lâches agresseurs qui s’enfuirent rapi­dement, tandis que le meeting put avoir lieu très calmement. 

Nous voulons espérer que nous n’aurons jamais la lamentable tristesse de constater que de semblables brigands, qui déshonorent Paris, ne sont pas désavoués par tous les partis. Si quelqu’un avait l’idée de se servir de tels 

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hommes pour défendre sa cause, ne mériterait-il pas le mépris de tout ce qu’il y a d’honnête en France? 

Nous comptons bien que Paris aura assez d’énergie pour écraser une bar­barie aussi sanguinaire, et qu’il ne laissera pas se former un nouveau parti le Parti des Assassins. 

Quant à nous, nous sommes doublement fiers de la soirée du 23 mai. Nos adversaires ont vu que notre doctrine était bonne et solide, qu’elle ne craignait pas la contradiction et que nous étions assez forts pour être tolérants. Il ne nous déplaît pas non plus, revenant la tête haute d’une victoire remportée pacifiquement, après avoir déclaré que nous étions les éternels entêtés de l’Amour, d’avoir été lâchement attaqués, la nuit, par derrière, et d’avoir versé notre sang pour notre Foi. 

Plus nombreux, plus confiants que jamais, sans rien changer ni à nos méthodes, ni à nos doctrines, nous marcherons toujours, avec toute notre Ame, vers l’avenir. 

Et qui donc oserait prétendre que nous ne sommes pas plus forts que la haine? 

Le Sillon.