Les catholiques et l’éducation sociale

Chapitre I 

Les catholiques et l’éducation sociale 

I. L’Education sociale : Ce qu’elle est. – Sa necessité. – Les catholiques et la situation présente. – A la conquête du peuple par l’influence d’une élite. 

II. Les Cercles d’Etudes : Leur point de départ et leur évolution. – L’école du bon sens et du 

III. Quelques objections : Le Cercle d’études n’a pas de valeur propre. – Je ne veux pas de divisions dans mon patronage. J’ai peur de faire de déclassés. – J’ai essayé, je n’ai pas réussi. 

L’Education, pour préparer l’homme à l’art de vivre, doit mettre en valeur toutes les ressources de son être et le rendre ainsi capable de remplir tous ses devoirs envers lui-même et envers les autres. 

Il faut donc qu’elle soit, à la fois, personnelle et sociale ; personnelle, puisque c’est l’individu qu’elle a mission d’élever à sa plus haute puissance ; sociale, puisque nous ne pouvons pas ne pas avoir de relations avec nos semblables. La science de ces rapports embrasse la connaissance de nos devoirs et de nos droits. Nous devons être assez forts pour pratiquer les uns et faire respecter les autres, travailler pour nous-mêmes [et promouvoir eu même temps le bien général de l’humanité, observer la justice, aider enfin nos frères à en garder les lois, et vis-à-vis de notre personne et (vis-à-vis d’autrui. 

L’accomplissement d’une pareille tâche exige des qualités éminentes, qui ne peuvent s’acquérir sans un long apprentissage, dans nos sociétés modernes surtout, où nos responsabilités n’ont cessé de s’accroître, puisque les peuples manifestent de plus en plus la volonté de se gouverner eux-mêmes, ce qui tend à rendre plus considérables nos charges civiques et sociales. Un généreux effort se poursuit sous nos yeux pour associer un nombre d’hommes toujours plus grand à la direction des affaires, tant dans l’ordre économique qu’au point de vue politique. 

Cette indéniable évolution vers la démocratie, accueillie par les uns avec enthousiasme, maudite et condamnée par les autres, il faut la considérer au moins comme un fait et se demander quelle attitude il convient de prendre, en face d’elle. 

Les catholiques ne nous semblent avoir aucun intérêt à la combattre ; rien, dans l’enseignement de l’Eglise, ne les y oblige, car notre religion n’est liée à aucune forme particulière de gouvernement, à aucun système de production et de répartition de la richesse, pour cette bonne raison qu’elle fut fondée pour les hommes de tous les siècles et de tous les temps. 

Malheureusement, les hommes qui ont entouré la démocratie française, à son berceau, tout en se réclamant d’un idéalisme nécessaire, ont prétendu voir dans le catholicisme l’ennemi traditionnel et implacable de leurs rêves et l’ont combattu sans arrêt. Les passions les moins nobles se sont mêlées à leurs aspirations les plus légitimes. C’est ainsi qu’ils se sont trouvés dépourvus trop souvent des vertus qui leur eussent été nécessaires et privés presque toujours du concours des âmes religieuses, auxquelles la pratique de leur foi eut aisément permis d’apporter à la société la force morale qu’elle attendait, pour se transformer sans injustice et s’améliorer sans défaillance. 

Depuis la Révolution française, à chaque génération, il s’est rencontré des catholiques, qui, souffrant de ce malaise, ont travaillé pour qu’il cessât. Placés entre les deux camps adverses, ils ont adjuré leurs coreligionnaires d’entrer dans la démocratie, pour la purifier et supplié les démocrates de ne pas combattre plus longtemps l’Eglise. Ils furent accusés par les uns de pactiser avec l’erreur, tandis que les autres ignorants, irrités ou pervers, dédaignaient leur concours et ne leur accordaient qu’une médiocre confiance. 

Ce déplorable conflit se poursuit de nos jours. Sur le point de s’apaiser vers 1848, et au lendemain des Encycliques de Léon XIII sur le ralliement, la condition des ouvriers et la démocratie chrétienne, il a pris, dans ces dernières années, à la suite des entreprises de la libre-pensée contre le catholicisme, une vive recrudescence. Cependant, le nombre des fils de l’Eglise qui cherchent à mettre en lumière la valeur sociale de la religion de Jésus-Christ a augmenté, malgré les fautes commises par quelques-uns d’entre eux et malgré l’opposition irréductible de leurs antagonistes. 

Cette opposition les a amenés à comprendre qu’il était devenu nécessaire de sa tourner vers cette partie de la jeunesse demeurée fidèle à l’Evangile, pour la préparer à sa mission future en faisant son éducation sociale, c’est-à-dire en lui enseignant la théorie et la pratique des vertus nécessaires à l’homme des temps modernes. 

A tout prendre, ces vertus ne sont pas nouvelles. Elles ont toujours été l’apanage des grandes âmes, car aucun homme ne peut vivre, d’une vie digne de ce nom, sans respecter la justice et sans aimer ses frères jusqu’à vouloir leur faire du bien. Il convient uniquement d’en adapter l’exercice aux exigences de l’heure présente et de mieux armer la jeunesse, pour les luttes civiques et sociales d’aujourd’hui. Nous avons besoin d’hommes dont la foi ne soit pas vacillante et qui puissent, au moins sommairement, donner les raisons de leur attachement à leurs croyances et de leur fidélité à l’Eglise catholique. Ces hommes, nous les voudrions encore capables de garder intacte leur noblesse de conscience, au milieu d’un monde corrupteur et corrompu. Nous les souhaitons enfin, apologistes de la Vérité chrétienne, tant par la rectitude absolue de leur conduite que par la puissance de leur zèle pour le bien public, au point que tout adversaire, sans parti pris, sera obligé de confesser qu’ils sont les plus dévoués et les plus habiles artisans du progrès, sous toutes ses formes. Nous ne chercherons jamais avec eux et par eux, à mutiler le Credo, à lui faire subir je ne sais quelle évolution qui le viderait de son contenu, sous le fallacieux prétexte de faciliter ainsi les conciliations ; encore moins leur demanderons-nous de flatter les vices de la démagogie ; pour acheter son suffrage ; il ne s’agit, pour eux et pour nous, ni de concessions qui seraient des apostasies, ni de lâchetés qui seraient des trahisons, mais de la reprise de notre bien évangélique égaré entre les mains d’hommes qui le dilapident, de manière à les libérer eux-mêmes de leurs erreurs et de leurs passions et si ce labeur est impossible, à amener la passe confiante et trompée à se détacher de ceux qui, tout en proclamant à la face du monde, un très bel idéal politique et social, le rendent pratiquement irréalisable, à cause de la besogne de démoralisation à laquelle ils s’acharnent. 

De ces adversaires aussi, nous ambitionnons de calmer les craintes, que nous savons vaines. Ils ne veulent voir, dans les efforts sociaux des catholiques, qu’une manœuvre hypocrite ne tendant à rien d’autre qu’à replacer la société moderne sous un joug détesté. Ce fantôme du cléricalisme, poussé sur le devant de la scène, par quelques fanatiques, au moment opportun, c’est-à-dire à l’heure où il peut servir d’épouvantail, pour affoler le populaire, nous entendons bien lui enlever peu à peu, par notre loyauté, par l’évidence des services rendus, sa force d’instrument de répulsion.Ceux qui l’évoquent encore commencent à s’apercevoir qu’il ressemble au croquemitaine dont on fait peur aux enfants crédules. Il est d’autres dominations occultes que le peuple appréhende plus que la docilité aux enseignements de l’Eglise, — car nous ne voulons obtenir des hommes que celle-là — c’est celle des politiciens d’aventure et des exploiteurs du travail humain. 

On s’explique maintenant pourquoi l’éducation sociale passe au premier plan des préoccupations d’un nombre toujours croissant de catholiques excellents ; on aperçoit comment ils la comprennent, quelles réalités et quelles espérances ils enferment sous ce mot. 

C’est justement parce que nous croyons avoir le sentiment des exigences de la défense catholique actuelle que nous regardons la préparation à. la vie sociale comme essentielle et que nous voulons tout mettre en œuvre pour la rendre aussi parfaite que possible. Nous savons bien qu’une armée qui ne répare pas ses pertes ne saurait pas longtemps tenir campagne ; aussi tâchons-nous de recruter des soldats vaillants, disciplinés et sur lesquels on puisse absolument compter. 

Si nous possédions beaucoup de jeunes gens intégralement chrétiens, capables, non seulement de conserver leur foi dans un milieu hostile, de la défendre et de la justifier, mais encore assez forts pour la répandre, n’aurions-nous pas une force de conquête des plus précieuses ? 

Qui donc, en France, mène l’opinion publique ? Une poignée d’hommes, qui s’est emparée du pouvoir, en exploitant au profit de ses convoitises les passions anticléricales et révolutionnaires. Toute la force de nos adversaires repose sur le maintien des préjugés qu’ils ont soin d’entretenir contre nous. Leur tactique est simple et leur plan facile à dévoiler : ils ne cessent de nous représenter comme les ennemis acharnés du progrès social, comme les fauteurs de toutes les réactions. Et voilà comment, pour une portion considérable des électeurs français, il demeure entendu qu’un catholique est un « clérical », c’est-à-dire un monsieur qui veut le renversement de la République et qui se refuse à toute amélioration sociale. 

Nos protestations extérieures se perdent dans le tumulte, parce qu’elles n’arrivent généralement pas aux oreilles de ceux auxquels nous les destinons. 

En formant dans ce pays une élite de citoyens jeunes, intelligents et hardis, vivant leur foi dans toute son intégrité et opposant sans cesse, par leur langage et par leur conduite, le plus éclatant et le plus vigoureux démenti à tous les préjugés accumulés contre nous, n’avons-nous pas chance d’agir enfin sur la masse et de l’entamer ? 

Pour une pareille œuvre, il faut beaucoup de courage et d’énergie. Apôtres, les jeunes catholiques doivent donc l’être toujours. Il ne suffit pas qu’ils confessent leur foi dans les grandes manifestations religieuses ; ils doivent la laisser rayonner autour deux, dans les conversations de tous les jours ; c’est elle qui animera et guidera leur volonté, dans tous les rapports sociaux ; il faut qu’ils s’imposent, par la valeur professionnelle indiscutable, par la moralité la plus haute, par ce je ne sais quoi d’attirant et de persuasif qu’entraînent après elles la loyauté de l’esprit et la bonté du cœur jointes à la hardiesse du vouloir. 

Lorsqu’un ouvrier socialiste et anticlérical cause avec un jeune catholique, il doit se sentir troublé dans ses manières de juger et de penser, toutes les fois qu’il est en face d’un croyant véritable. Ce dernier, en effet, doit lui laisser l’impression de la bonne foi la plus absolue, de la cordialité la plus parfaite, de la fermeté la plus indomptable. Cet anticlérical verra, sans même qu’on le lui dise, mais bien par la manière dont nous vivons, que notre religion n’est pas un vain tissu de formalismes étroits et d’observances vaines, mais qu’elle est au contraire la plus puissante des forces morales, celle qui seule est capable de donner à l’homme le courage du plus pur héroïsme. 

Tel est l’adversaire qu’il faut amener à avouer, s’il est sincère, qu’il y a plus d’esprit de progrès dans notre Evangile que dans les écrits et les discours de ses prophètes favoris. Au premier abord, il pourra être déconcerté en s’apercevant que nous n’entendons pas la révolution tout à fait de la même façon que lui, puisque loin de songer aux victoires brutales et passagères de la force et de la haine, nous rêvons des conquêtes pacifiques, mais durables, de la simple justice et du droit amour. Lorsqu’il constatera que nous commençons par nous l’œuvre de réforme et que ce travail est plus fécond que les agitations de sa politique, il respectera au moins des idées qu’il ne partage pas. 

Nous ne disons pas que tous les jeunes gens catholiques sont appelés à cette forme d’apostolat ; ce serait sans doute souhaitable, mais nous ne l’ignorons pas, il y aura toujours des âmes faibles qui trouveront dans la foi un port sûr et tranquille et ne se sentiront pas la force d’aller plus loin. Nous savons aussi qu’il est des âmes ardentes et vaillantes, que les dures conditions de cette vie militante enchantent et ravissent, loin de les faire trembler, et qui comptent assez sur Dieu pour espérer qu’il ne leur ménagera pas son secours. 

Ce sont ces âmes qu’il faut former. 

Il est une pensée qui doit nous réjouir et nous donner confiance : la première conquête du monde par les apôtres et leurs disciples s’est accomplie à peu près de cette manière. La vérité s’est répandue oralement, d’homme à homme ; saint Paul parlait de Jésus, à l’atelier, en travaillant. Ceux qui venaient à lui s’attachaient à sa doctrine, parce qu’ils y trouvaient la réponse aux questions parfois inconscientes qui se posaient en eux. 

Le cœur humain n’a pas changé. L’humanité cherche le même bonheur ; ses misères d’aujourd’hui, sous un autre nom, sont les mêmes que celles d’hier; elle sera donc toujours sensible à cette « raison du cœur » qui est la plus logique et la plus forte. 

II 

Nous voulons améliorer la société contemporaine et réaliser dans la mesure ou ils sont légitimes, les changements qu’elle réclame, par l’influence d’une élite de jeunes catholiques militants ayant reçu une éducation sociale appropriée au but que nous nous proposons. 

Des efforts tentés, il est trop tôt peut-être pour esquisser l’histoire. Mais des expériences faites, il n’est pas impossible de dégager quelques leçons. Nous le croyons du moins, parce que nous estimons qu’elles portent en elles leur enseignement. 

Cependant, comme il nous a paru trop ambitieux de tracer, dans cet ouvrage, un plan complet d’éducation sociale pour les enfants et les jeunes gens, nous nous bornerons à parler de ce que nous croyons connaître et à rechercher quel rôle peuvent et doivent jouer les Cercles d’études dans la préparation des générations nouvelles à l’accomplissement de leurs devoirs sociaux. 

Cette institution, on s’accorde aujourd’hui à l’avouer, répondait à un besoin. Elle a conquis, non sans peine, droit de cité parmi nous. Elle est entrée dans la pratique courante de la vie de nos œuvres et fait, à chaque instant, l’objet de communications et de rapports, dans nos Congrès diocésains. 

Elle commence même à se débarrasser de ce qu’elle garda longtemps de mal adapté aux exigences de ceux pour lesquels elle fut créée. 

On était parti de cette idée : il ne faut pas seulement préserver la jeunesse, mais encore la former. Le patronage qui ne trouve pas, dans le Cercle d’études, son couronnement, est un patronage incomplet. Il importe d’aider le jeune homme à prendre conscience de lui-même et de lui fournir les moyens de s’instruire de ses devoirs civiques et sociaux. Partout, de petites académies en miniature se fondèrent, où l’on discuta, à qui mieux mieux, sur l’économie politique, la sociologie et l’histoire. Chacun devait faire une conférence sur un sujet choisi. On vit alors ouvriers et employés, pris d’un bel enthousiasme et d’une ardeur opiniâtre, feuilleter de gros livres, parcourir revues et brochures, afin d’arriver à mettre sur pied un travail qui demeurait toujours assez quelconque, parce que l’auteur ne savait pas utiliser les renseignements qu’il avait recueillis, de manière à les présenter sous une forme attrayante et intéressante. 

Mais beaucoup ne tardèrent pas à se lasser de perdre un temps précieux en dissertations qui n’avaient qu’un rapport parfois lointain avec leur vie de tous les jours. Il leur sembla vite fastidieux de parcourir ainsi, au hasard des circonstances, le champ trop vaste des connaissances humaines; ils se noyèrent dans les statistiques, ou s’égarèrent dans les méandres infinis des problèmes historiques. 

Il y eut crise, et, dans beaucoup de cas, ce fut pour le pauvre Cercle d’études, longtemps aimé et dont on était si fier, la mort brève et sans phrases. 

Les gens tenaces ne se découragèrent pas. Ils sentaient que l’idée du Cercle, bonne en soi, n’avait pas encore reçu sa vraie forme et que cette œuvre conçue d’abord par des hommes habitués au travail intellectuel, avait été réalisée d’une manière conforme aux aptitudes des intellectuels, mais qui ne répondait pas à l’état d’esprit et aux besoins du jeune ouvrier et du jeune employé. 

Il fallait trouver autre chose. On le trouva. On s’était débarrassé d’assez d’idées fausses, pour avoir mérité de découvrir enfin la vérité. Il apparut donc que le Cercle d’études était quelque chose d’aussi divers que le tempérament même de ses membres et qu’il n’y avait pas qu’une sorte de Cercle d’études, mais qu’il y en avait mille. On s’aperçut ensuite que, en maintes occasions, mieux valait remplacer les dissertations de jeunes gens inexpérimentés, par un enseignement suivi, mis, par un homme compétent, à la portée de tous. On inaugura les cours d’apologétique et les séries de conférences sociales. On enleva à l’enseignement son caractère solennel, mais on lui conserva son allure méthodique. La discussion qui suivit l’exposé des idées eut un sens, le jour où elle eut une base. Enfin, nouvelle hardiesse, on fit du Cercle d’études, la plus simple et la plus familière des causeries sérieuses. Plus d’apparat, plus de rapports, plus de président ; une conversation, guidée, orientée et conduite par un homme intelligent et averti. 

Le conseiller fut un éveilleur d’âmes et non un pédagogue: il aida ses jeunes auditeurs, devenus ses amis à comprendre la vie. Le cercle devint une enquête permanente sur les hommes et sur les choses. En définitive, c’est là tout le rôle qu’il peut et doit avoir. Sans vouloir dédaigner les connaissances positives, on peut dire pourtant qu’elles n’ont aucune valeur, si celui qui les possède n’a pas un jugement sain et un bon sens véritable. Il ne s’agit pas, en effet, pour le jeune homme, de savoir beaucoup, mais de comprendre bien* Nous vivons à une époque où, an fait, le citoyen se prononce sur tout. Il doit être capable de formuler une appréciation dont il empruntera les éléments beaucoup plus au bon sens qu’à la science proprement dite. Science et bon sens doivent se prêter appui et au besoin s’éclairer mutuellement. 

D’expériences en expériences, on arriva enfin à voir dans le Cercle d’études un centre d’action et un foyer de vie. On comprit qu’il fallait passer de la défensive à l’offensive. Après s’être attardé longtemps à réfuter une à une les objections faites contre le catholicisme, on constata que ce travail utile n’était pas, en somme, le plus indispensable. L’imagination de l’homme est fertile à découvrir des prétextes qu’il mettra en avant, pour se dispenser de croire ; quand on se réjouit de les avoir tous écartés, on s’aperçoit qu’il en existe d’autres, et l’on risque ainsi de rester au seuil du temple, sans y pénétrer jamais. On n’étudia plus seulement la religion chrétienne dans sa lettre, mais on chercha à acquérir l’esprit chrétien. On lutta en commun pour déployer les énergies conquérantes enfouies dans toute âme humaine : on ne fit pas simplement des controversistes qui ne bronchent jamais ; on arma, de pied en cap, des apôtres. 

Le cercle d’études ne doit donc être ni un catéchisme de persévérance, ni un comité électoral, ni une faculté de droit, mais le lieu de rencontre et le lien d’amitié de quelques jeunes gens qui veulent se former et s’instruire pour être à même de remplir leurs devoirs dans la vie sociale. 

Or, pour atteindre un pareil idéal, il ne suffit pas d’avoir feuilleté un manuel de sociologie, écouté une douzaine de conférences sur le salaire ou la propriété, et parlé soi-même de la tuberculose ou de l’alcoolisme devant quelques camarades. Il est aussi vain de s’imaginer qu’en dissertant sur le mécanisme des syndicats et des coopératives, en dépouillant des statistiques et en élaborant des statuts, on se fera des idées, une volonté, une âme. 

Toutes ces études ont leur raison d’être ; on les abordera, en temps opportun, mais on se souviendra qu’il faut avant tout se livrer sur soi-même à une action éducatrice qui, « pour être efficace, doit s’exercer en profondeur et non en surface »1. On ne considérera pas comme perdues les années silencieuses de ce noviciat civique, an cours desquelles on aura lu, prié, médité et fait sur ses camarades l’essai de son influence, avant de se lancer à la conquête de l’opinion publique. 

III 

Cependant, malgré l’évidence des faits et des résultats obtenus, beaucoup de directeurs de patronages, de curés de paroisse et de laïcs mêlés aux œuvres hésitent encore à créer des Cercles d’études. Examinons quelques-unes de leurs raisons. 

Certains d’abord, contestent leur utilité. « Nous n’avons pas besoin, disent-ils, de cet organisme nouveau ; il n’a pas de valeur propre ; il n’ajoute rie»n aux œuvres que nous possédons déjà. On peut très bien faire l’éducation sociale de la jeunesse, sans lai imposer une telle discipline de travail. » 

On a répondu depuis longtemps à cette objection en insistant sur les avantages de l’étude en commun. Elle est un lien moral et une source de lumière pour l’esprit. De plus, au Cercle, on apprend à parler, c’est-à-dire à exposer des idées, en termes clairs, à donner une explication, à résoudre une difficulté présentée par un autre. C’est le premier essai de la vie sérieuse, avec ses conversations incessantes sur toutes les questions à l’ordre du jour. C’est le seul moyen pratique, pour un ouvrier ou un employé, ne sachant pas se servir des journaux, des revues et des livres, d’en apprendre l’usage intelligent, avec l’aide d’amis et de conseillers sages et expérimentés. C’est une discipline de labeur qui doit avoir des conséquences heureuses pour la vie morale de ceux qui acceptent de s’y soumettre. Elle affermit la volonté, enflamme le cœur pour les grandes causes et donne au jeune homme autant d’enthousiasme que de persévérance. 

On s’étonne parfois de la vulgarité de langage des travailleurs. On se scandalise, à juste raison, de les voir absorbés par des préoccupations indignes d’un homme bien élevé. On souffre de leur impuissance à traduire, avec des phrases et des mots, leurs impressions les meilleures. Leur âme semble captive et leur esprit emprisonné. Ces tristes signes d’infériorité intellectuelle et morale sont le résultat de leur ignorance. Ils n’ont jamais été accoutumés à exprimer des idées, à mettre sur pied un raisonnement, à s’entretenir d’autres questions que de celles qui touchent à leur métier ou à leurs plaisirs. Ils sont vulgaires, parce qu’ils vivent dans une atmosphère de vulgarité. Eux-mêmes, au moins d’une façon rudimentaire, se rendent compte de ces défauts et ils ne les supportent pas sans douleur. De là leur rudesse et leur gaucherie. 

La lecture solitaire, l’audition de conférences ne sauraient suffire à faire disparaître cette gêne qui les peine, sans qu’ils sachent le dire. Il n’y a que les conversations fréquentes, comme celles que l’on tient dans les Cercles d’études, qui leur permettront de se délivrer de leur timidité, parce qu’ils trouveront, auprès de camarades et d’amis plus instruits, un vocabulaire pour s’exprimer et qu’ils feront ainsi, sans respect humain, au moment de l’adolescence et de la jeunesse, l’apprentissage de l’art de causer sérieusement. 

Mais on a d’autres griefs contre les Cercles d’études. Sont-ils fondés ? 

« Je ne veux pas, dit-on, par exemple, introduire dans une œuvre qui marche bien, des discussions d’idées qui seraient autant de germes de désunion et de division. Voilà pourquoi je répète aux jeunes gens : « Hors d’ici, ayez les opinions politiques et sociales que vous voudrez, pourvu qu’elles soient raisonnables, appartenez à tel groupement qu’il vous plaira, mais n’en faites pénétrer chez nous ni les journaux, ni les doctrines. Je vous impose sur ce point une consigne de silence ». 

Ceux qui parlent ainsi me semblent faire fausse route et je ne connais rien de plus dangereux que cette manière de résoudre les difficultés, en se flattant de les avoir supprimées, par voie d’autorité. 

Le Cercle d’études ne peut-il jouer un rôle dans l’éducation religieuse des membres d’un patronage ? Ne bornerait-on son effort qu’à l’examen de ces seules questions qu’on n’aurait pas perdu son temps. De plus, proscrire les conversations sur les problèmes que tous les catholiques ne résolvent pas de la même manière, c’est condamner la jeunesse à des propos médiocres, sur les sports ou les séances récréatives ou sur d’autres sujets moins dignes encore de retenir l’attention2. C’est risquer de ne paraître attacher du prix qu’aux amusements, aux petites plaisanteries fades, à tout ce qui n’élève pas les âmes et demeure très capable de les abaisser. On masquera l’ennui qu’on éprouve à jouer aux cartes, à tourner autour d’un billard, à débiter des monologues, sous les cris, le tumulte et le bruit. On n’empêchera pas le vide des esprits, prélude de celui des âmes. D’ailleurs, pourquoi ne pas voir la vérité? Ces jeunes gens iront, hors du patronage, aux opinions de leur choix. Mais, ce choix, comment le feront-ils ? Sera-ce avec réflexion ou au hasard des camaraderies ? Ils adopteront des manières de parler qui ne correspondront point à des manières de penser, parce qu’ils n’auront pas appris à penser. Ils accepteront des idées justes ou fausses, sans pouvoir discerner; ils seront entraînés peut-être à donner leur assentiment à de pernicieuses erreurs, sans se douter du danger qu’ils courent. Il peut leur arriver enfin de se draper dans un scepticisme ou un dilettantisme qui les rendront à tout jamais impropres à exercer de l’influence autour d’eux et qui en feront de bons petits jeunes gens sans valeur et sans influence. L’accord régnera, au patronage, pour cette bonne raison qu’on n’y rencontrera plus que des individus sans personnalité, parce que les autres seront partis ailleurs, faire leur éducation sociale au petit bonheur des causeries et des lectures, c’est-à-dire à leurs risques et périls. Si leur foi et leur moralité ne sombrent pas dans cette aventure, ce sera miracle. 

« Je ne puis tout de même pas mettre mon patronage à feu et à sang, répliquera-t-on. Il faut bien que j’interdise les discussions, puisque monarchistes et républicains ne peuvent arriver à vivre en bonne intelligence que s’ils ne parlent jamais de ce qui les divise. » 

Votre rôle ne serait-il pas justement d’apprendre aux uns et aux autres comment on s’accoutuma à respecter les idées d’autrui ? Vous ne réussirez certainement pas du premier coup, mais vous parviendrez peu à peu au résultat que vous cherchez. Vous mettrez en œuvre votre patience, votre influence personnelle sur tel ou tel dont vous ferez vos alliés, pour travailler avec vous au succès de cette campagne. Ce sera là de l’éducation sociale au premier chef et de la meilleure car, soi dit en passant, exposer et défendre ses convictions, après avoir fait effort pour en avoir, sans blesser ceux qui ne les partagent pas, comprendre que des divergences d!idées n’empêchent pas de se voir, de se parler, de s’entendre même, pour agir de concert, sur les points où l’accord existe, ce n’est pas si banal, par le temps qui court. 

« J’ai peur, disent les autres, de mettre des cerveaux trop jeunes aux prises avec des idées qui les amèneraient à mépriser leur métier et à dédaigner le travail manuel. J’ai horreur de ces blancs-becs qui dissertent sur tout, tranchent, affirment, approuvent ou condamnent, avec une passion sans mesure. Ils n’ont pas le temps de faire des études approfondies, sur toutes ces questions difficiles. Il vaut mieux ignorer une science que de n’en posséder qu’une teinte légère et superficielle, suffisante,  cependant, pour se donner à soi-même l’illusion que l’on sait quelque chose, alors qu’on ignore tout ». 

Ce sont précisément ces dangers que nous cherchons à éviter. En toute hypothèse, pour le jeune homme, il y a des risques. S’il n’a aucune lumière sur les problèmes discutés autour de lui et s’il n’a pas même la volonté de s’y intéresser, sa formation reste incomplète. S’il sait trop peu de choses et s’il les a mal apprises, c’est-à-dire sans guide, ce sera, dans sa tête, un bric à brac de notions mal digérées. Si le peu de connaissances enfin qu’il a glanées n’est pas accompagné d’un sérieux labeur de formation morale et du désir de l’apostolat, ce sera l’orgueil tant redouté. 

Or, par le Cercle d’études, on peut écarter ces risques; détruire, dans les âmes, l’insouciance et l’indifférence, vis-à-vis des devoirs les plus graves ; pousser assez loin le travail intellectuel pour amener l’esprit à se rendre compte de la complexité des questions et, par conséquent, à ne pas s’aventurer à en parler sans information préalable ou à se laisser duper par le premier venu ; enseigner enfin qu’à tout élargissement de notre savoir, correspondent des obligations vis-à-vis de ceux qui sont moins bien renseignés que nous. 

Comme l’a fort bien dit M. Marc Sangnier : « Il ne s’agit pas pour l’ouvrier de conquérir une bourse dans quelque lycée et de finir ses jours dans la tranquille quiétude de quelque sinécure administrative, avec, comme seule récompense un peu noble, la satisfaction de pouvoir se dire que l’on s’est — à force de courage et parfois aussi, au prix de bien vilaines petites intrigues — hissé d’un degré sur le fameux échelon social, il ne s’agit pas, pour l’employé quelque peu intelligent et dégrossi, de se donner des allures d’intellectuel et d’artiste, il risque fort de n’être jamais qu’un étudiant de second ordre, qui ne remplacera que malaisément la culture classique par des lectures hâtives et mal digérées. Ce qu’il faut, c’est que l’ouvrier, c’est que l’employé puissent prendre conscience de leurs forces véritables et travailler avec leurs connaissances et leurs tempéraments particuliers à développer autour d’eux les idées qu’ils ont conçues et qu’ils veulent propager3. » 

Le jeune homme qui poursuit un but aussi élevé et qui travaille à donner à toutes les facultés de son être leur maximum de valeur et de force est loin de ressembler au « cacographe » ridicule dont M. Paul Bourget nous a tracé, dans l’Etape, un portrait resté fameux. Ce n’est ni un intellectuel manqué, ni un raté, ni un déclassé. 

Il n’y a pas à craindre qu’il tombe jamais dans un dangereux pédantisme ni qu’il s’enorgueillisse du peut qu’il sait; il aura trop d’humilité intellectuelle et, aussi, trop de bon sens, pour que les connaissances acquises au Cercle d’études lui fassent prendre en dégoût son métier ou son outil. Au contraire, il aimera davantage sa profession, le jour où il y verra un moyen pour lui de demeurer en contact avec ceux qui ne pensent pas comme lui : apercevant dans ceux qui l’entourent des âmes à délivrer et des intelligences à éclairer, il n’aura pour elles ni mépris, ni colère. Il songera seulement qu’il a mission de les rendre meilleures. Loin de rougir de ses vêtements de travail, il aimera ce labeur qui lui donne, outre le pain de sa famille et le sien, l’avantage immense de pouvoir parler fraternellement à son voisin d’établi, à son compagnon de chantier ou à son collègue de bureau. 

On insiste encore et l’on ajoute : « Ces jeunes gens deviendront égoïstes. Ils n’auront aucune action sur leurs camarades car, se sentant supérieurs à eux par la culture et le savoir, ils rougiront de se commettre avec eux. » 

« Comment voulez-vous qu’un jeune homme du peuple, qui n’a fréquenté que l’école primaire, n’acquière pas tout naturellement des goûts de luxe et de vie bourgeoise quand il aura pris l’habitude de parler dans les réunions et dans les Congrès, d’écrire dans les journaux et les revues ? Vous le griserez d’applaudissements, il verra son nom imprimé dans les comptes-rendus et son travail professionnel lui semblera bien terne, au lendemain de ces triomphes. Il finira par se trouver mal à l’aise, au foyer de famille, en face de ses parents incapables parfois de comprendre ce qu’il écrit et ce qu’il dit. A fréquenter des étudiants qui sont riches il rêvera d une vie large et facile. » 

Et l’on apporte à l’appui de ces affirmations l’exemple de ce qui s’est passé et se passe encore dans les milieux socialistes où toute une catégorie de « profiteurs » bien rentés par les cotisations des camarades dont ils sont devenus les mandataires, exploitent les grèves et se donnent l’allure de bourgeois cossus, tout en prétendant continuer à servir les intérêts du prolétariat. 

Ce péril n’est point chimérique. Nous aussi nous pourrions créer des parasites sociaux, si nous n’y prenions garde. N’est-il pas vrai, d’ailleurs, que chez certains, se manifeste parfois comme un étrange malaise, après quelques mois passés dans un Cercles d’études ? Ils sont tentés, voyant l’indifférence et l’ignorance de ceux qui les entourent, de se croire des incompris et de prendre la résolution de vivre à part des autres, loin de la foule qui bégaie, ayant un sourire de dédaigneux mépris pour ceux qui ne sont pas « initiés » et qui ouvrent de grands yeux interrogateurs ou épouvantés, quand on parle devant eux de questions sociales. 

Les jeunes catholiques ont entre les mains un moyen sûr de résister à toutes ces tentations ; il leur suffit de devenir plus chrétiens. S’ils le veulent, ils ne seront jamais ni des égoïstes, ni des arrivés, ni des satisfaits. Ils pourront sortir de l’obscurité, devenir riches, brûler toutes les étapes, sans que leur cœur soit changé. 

Celui qui a la passion de la justice et le sens catholique ne peut cesser de lutter pour l’affranchissement de ses frères. Etant disciple du Christ, il regardera comme une faveur dont il était indigne tous les avantages dont la Bonté divine a pu le combler ; il s’humiliera de valoir si peu en comparant ce qu’il aurait dû être, s’il avait été plus saint. Il se rappellera aussi que tous sont égaux au service de Dieu, qu’il n’y a pas, quand on travaille pour Lui, de situation inférieure ou de poste supérieur, qu’une seule chose compte aux yeux du Père qui voit et sait tout : notre valeur morale. Et il se dira que tel, qui ne sait rien, qui n’écrit rien, qui no dit rien, fait plus, par ses sacrifices obscurs, que ceux dont le nom est acclamé par les foules. 

Il se souviendra que le Maître lui commande de considérer comme faite à lui-même l’injure infligée à autrui et de regarder comme commise contre lui toute injustice dont un autre est victime : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même… » dit l’Evangile. 

Or, aimer quelqu’un, c’est non-seulement ressentir en soi un écho affaibli de ses plaintes et de ses peines, mais souffrir ses souffrances et pleurer ses larmes ; c’est ne faire qu’un avec lui. Jésus-Christ seul a réalisé l’Amour parfait, puisqu’il a éprouvé toute la misère humaine, et que, selon l’énergique et déconcertante expression des Livres saints, il s’est fait opprobre et péché pour nous. 

Les jeunes membres des Cercles d’études seront sociaux dans la mesure où ils seront chrétiens. 

Le danger, ce n’est pas que les hommes deviennent plus riches ou plus instruits, ce n’est même pas qu’ils et les Cercles d’Etudes passent d’un milieu social dans un autre, c’est que, à leur développement intellectuel ne corresponde pas un développement moral au moins égal, sinon supérieur. Tout le mal viendrait de ce que l’équilibre fût un jour rompu entre les facultés maîtresses de l’homme : si la tête l’emporte sur le coeur, si le cerveau s’éclaire sans que l’âme s’échauffe, tout est perdu ; mais si les deux formations vont de pair, si l’âme, guidée par la foi, arrête, corrige et règle les entraînements de l’esprit, tout est sauvé. 

Nous savons que quiconque gravit les pentes du savoir en laissant les brouillards de l’orgueil humain lui voiler les misères et les ignorances de ceux qui sont demeurés dans la plaine est un homme perdu pour la cause qu’il prétendait servir. Si l’on n’exalte pas l’esprit de sacrifice et d’abnégation en même temps qu’on développe la curiosité intellectuelle, si l’on se contente d’orner les intelligences et de les griser du vin enivrant de la science, ou fait plus qu’une œuvre vaine, on risque de taire une œuvre mauvaise. 

Taine, qui n’était pas un chrétien, avait pressenti ces vérités, lorsqu’il écrivait au lendemain de la Commune : « Le grand mal du socialisme actuel, c’est qu’il n’a pas pris pour fond, comme le puritanisme ou môme le catholicisme de la Ligue, l’idée d’une réforme personnelle de la volonté et du cœur. — Il n’est qu’un système et une ligue à l’usage des appétits, de l’envie et de toute« les passions destructives4. » 

L’histoire de l’Eglise nous montre qu’il n’est pas insensé de compter sur la foi pour dompter et harmoniser les élans de la nature. Par elle sont apaisées toutes les convoitises de l’esprit et arrêtés tous les entraînements de l’orgueil. Quel exemple que la vie de l’apôtre saint Paul ! Il était docteur en Israël, c’était un homme instruit, et il s’était fait une règle de refuser ordinairement les aumônes des fidèles et de vivre de son labeur. Il demeurait volontairement dans la compagnie des artisans, parmi les pauvres et les esclaves. Il passait ses journées à Corinthe, dans l’atelier d’Aquila et de Priscille, « travaillant avec courage, avec fierté, sans tendre la main »5 et prêchait le Christ dans une boutique misérable. 

C’est donc un impérieux devoir pour les membres des Cercles d’études de lutter contre eux-mêmes et de repousser de leur esprit toute idée de supériorité intellectuelle qui les amène à mépriser les autres, Leur situation privilégiée leur crée des responsabilités nouvelles et des obligations plus abondantes. Qu’ils ne s’enferment donc point dans leur tour d’ivoire, comme ces intellectuels qui s’admirent eux-mêmes, dans l’inaccessibilité de leurs rêves et se trouvent des écrivains sublimes le jour où Ils sont des écrivains incompréhensibles. 

Nous devons aimer nos frères d’autant plus qu’ils sont plus loindenous, sans leur en vouloir d’être ce qu’ils sont. Le Christ ne s’est jamais irrité de la grossièreté des Douze, ni du peu d’élévation de leur pensée. Il a continué à vivre au milieu d’eux, les conquérant et les libérant par la force triomphante de son amour. Qu’avons-nous de mieux à faire que de chercher, dans la mesure de nos faibles forces, à marcher sur ses traces?… 

Reste une dernière objection. On nous dit enfin : « Tout ce que vous affirmez est vrai. J’ai essayé de faire de l’éducation sociale par le Cercle d’études et je n’ai pas réussi. » 

C’est bien possible. Mais, c’est à savoir si les difficultés rencontrées venaient de votre inexpérience ou du mauvais vouloir irréductible de ceux auxquels vous vous êtes adressé. Et encore, est-il bien prouvé que ces derniers vous ont opposé une fin de non-recevoir tout à fait consciente ? Votre échec et le leur ne s’expliquent-ils pas par l’ensemble défectueux des circonstances au milieu desquelles vous vous êtes trouvé ? Ces observations nous conduisent à examiner maintenant quelles qualités doit posséder l’éducateur social et par quel lent travail on peut amener l’enfant et l’adolescent à désirer le Cercle d’études et à en profiter. 

Notes

1G. Fonsegrive. — Regards en arrière, Paris, Bloud. Les préfaces de La Quinzaine. Préface pour la septième année, 1903. 

2On nous permettra de renvoyer le lecteur à ce que noua avons dit ailleurs sur ce sujet. Voir, Au seuil de la Jeunesse, Paris, Lethielleux, III, 170. La Crise sociale. Les lacunes de la formation sociale. Voir également, Semaine sociale de Bordeaux, Chronique sociale de France, 16, rue du Plat, Lyon, notre conférence sur la préparation à l’action, notamment la 3e partie. 

3Démocratie, Marc Sangnier, Le Sillon du 10 avril 1903. 

4H.Taine, – Lettre à Mme Taine, 29 mai 1871. Revue des Deux-Mondes, 15 avril 1905 

5Fouard, – Saint Paul, Ses Missions, Paris, Lecoffre

SOURCE: Eugene Beaupin, L’Education Sociale et les Cercles d’Etudes, Bloud et Cie, Paris, 1911