Léonard Constant, apôtre et universitaire

Nlle Série (Ve Année) N° 4 (T. I.) 25 Novembre 1923

La Démocratie

Il faut aller au vrai avec toute son âme

En 1903, Léonard Constant était boursier d’agrégation à la Faculté des Lettres de Paris. Intelligence vigoureuse, profonde, ouverte, conscience droite, il était demeuré chrétien, et sa foi, dans le conflit des doctrines et des systèmes auquel le faisaient assister ses études et les leçons de ses maîtres, s’était avivée de tout ce que le courage de l’esprit, les richesses de la vie intérieure et la grâce de Dieu donnent aux hommes de bonne volonté. De fortes disciplines intellectuelles jointes à cette foi qui, telle une lampe de sanctuaire, ne cessait de briller au fond de lui- même, lui faisaient trouver jusque dans les enseignements les plus opposés à ses croyances des raisons nouvelles de s’attacher à elles et d’en demeurer le défenseur. Possédant à un haut degré cette charité de l’esprit que recommande le père Gratry, il était bienveillant aux idées comme aux hommes.

« S’efforcer de comprendre avant de condamner, écrivait-il, ce n’est pas seulement un strict devoir de justice, c’est encore la plus efficace méthode de persuasion et de conquête. Nos adversaires ne cessent jamais, d’être mos frères, et nous voulons qu’ils deviennent nos amis : comment les respecter sans les comprendre, et les comprendre sans aimer en eux ce qu’ils jugent être le meilleur d’eux-mêmes : les idées directrices de leur vie ? »

C’est dans ces sentiments que Léonard Constant prenait part aux batailles d’idées qui, sur la question religieuse, se livraient alors, ardentes, au Quartier Latin et dans les universités populaires. Il était encouragé par ses maîtres catholiques, et stimulé par les espérances que faisait naître en lui le mouvement de renaissance chrétienne qui se dessinait sur tous les terrains et, tout particulièrement, dans le domaine de la philosophie et de l’apologétique, avec les Ollé-Laprune, les Brunetière, les Maurice Blondel, les Fonsegrive. Et à ceux-là qui, autour de Péguy et des Cahiers de la Quinzaine, se tournaient, hostiles ou respectueux, vers ce catholicisme âprement discuté et combattu, il se présentait avec toutes les ressources d’un esprit exact, équilibré, méditatif et étrangement riche de pensées chaque jour vécues.

Il ne pouvait pas ne pas rencontrer le Sillon. A l’une des réunions publiques, particulièrement mouvementées, que le Sillon organisa à Paris à la fin de 1903, il entendit Marc Sangnier et, tout de suite, il fut conquis. Il vint boulevard Raspail, et le milieu, que faisaient si attirant l’entrain, la bonne humeur, l’intensité de vie morale, l’intimité spirituelle, devint bientôt son milieu, qu’il devait enrichir du meilleur de lui-même. Henry du Roure, secrétaire de rédaction de la revue Le Sillon et Jeune Garde, l’initia à la vie de militant. Il lui demanda d’abord des articles pour la revue, et Léonard Constant de lui envoyer une première étude qui, sous le simple titre : « Notes sur la méthode laïque », contient le plus magistral exposé et la plus pénétrante critique qui ait été faite sur ce sujet. Ce qui frappe, dans cette étude, c’est ce qu’elle révèle de l’esprit dans lequel elle a été abordée. Ecoutez ceci :

« Je voudrais m’efforcer de noter aujourd’hui quelques principes essentiels de cette morale laïque, dont il ne suffit pas de dire qu’elle est nébuleuse — ce qui est vrai — car, malgré le vague et parfois l’incohérence des idées qu’elle enferme, elle est déjà, dans une certaine mesure, vécue. Il faut tenir compte de ce que des milliers de nos camarades de bonne foi et de bonne volonté n’en ont jamais connu d’autre, — ouvriers ou employés avec lesquels nous nous rencontrons, sans toujours nous comprendre, dans les réunions publiques, — jeunes instituteurs ardents à réaliser leur œuvre de missionnaires laïques et qui sont placés devant le curé dans un antagonisme d’autant plus douloureux qu’il parait plus irrémédiable. »

Une âme de sillonniste transparaît déjà dans ces lignes qui expriment avec force le sentiment commun de toute la génération révélée à elle-même par Marc Sangnier. Henry du Roure l’a bientôt vu, qui utilise aussitôt ce nouvel ami en l’attachant, non pas seulement à la rédaction de la revue mais encore aux humbles et obscures besognes par quoi le Sillon, au cours de l’année 1904, va poursuivre son œuvre de pénétration et donner au mouvement une impulsion nouvelle. Vous vous rappelez, ô mes vieux camarades, ce qu’était, alors, Henry du Roure, ce militant de vingt ans, formé par Marc Sangnier dont il était l’intime ami ; quelle force il représentait déjà parmi nous ; quelle intelligence, quelle volonté et quels talents il mettait au service de la Cause dont il était, depuis longtemps déjà, un serviteur passionné. Il faisait partie de la Jeune Garde : vous vous souvenez du chevalier qu’il y fut. Léonard s’était épris de cette âme et se formait, à son exemple, à la vie de militant. Comme lui, il collaborait, sinon dans la Jeune Garde, du moins dans les cercles d’études, avec ses camarades ouvriers et employés, leur donnant, en échange de leurs richesses intérieures, tout son avoir, spirituel et moral. Et, s’étant rendu compte que les connaissances dont l’avait pourvu l’Université ne pouvaient être utiles au mouvement qu’autant qu’il se serait dépouillé de tout ce qui, dans ces connaissances, était étranger à celui-ci, il pratiquait ce fécond renoncement préconisé par Marc Sangnier aux intellectuels, à propos de l’art et de la démocratie : « S’ils veulent être vraiment les fils de la cité nouvelle, il faut qu’ils oublient, qu’ils désapprennent pour renaître ensuite. »

Il y eut, entre Marc Sangnier et Léonard Constant, une évidente parenté intellectuelle : même probité scientifique, même respect de l’expérience sociale, même horreur de cette fausse précision « toute dans les mots, aucunement dans les idées », même sens de la complexité des problèmes que pose la vie des individus et des peuples. On pourrait faire, à cet égard, de curieux rapprochements entre tel discours ou tel article de Marc Sangnier et telle étude de Léonard Constant. Sans doute, le premier inspire souvent le second, mais, toujours, pour le libérer, pour le révéler à lui-même, pour que, par le développement de toutes ses puissances, il enrichisse l’âme commune. De fait, la personnalité de Léonard Constant va se développer magnifiquement, dans ce Sillon qui l’a pris tout entier et dont l’intense vie morale alimente sans cesse son esprit et son cœur. Je crois bien qu’aucun sillonniste n’éprouva, plus que lui, de jouissances proprement intellectuelles à la lecture des articles où Marc Sangnier, au cours des années 1904 et 1905, précisait la doctrine et le programme du Sillon ; mais je crois aussi qu’il fut du nombre de ceux qui surent marquer du cachet de leur personnalité jusqu’aux moindres comptes rendus. J’en veux pour preuve cette manière de présenter, dans la revue Le Sillon, L’esprit démocratique, de Marc Sangnier, qui venait de paraître.

« Ce livre n’est précisément destiné à fortifier la vie du Sillon et à la rendre plus consciente et plus sûre de sa force que parce qu’il est sorti de cette vie elle-même, et qu’il se trouve, par conséquent, directement adapté à ses besoins… De même que l’Eglise a été amenée à formuler progressivement ses dogmes sous la pression des hérésies, de même le Sillon a été amené, sous la pression des doctrines contraires et des critiques directes, à exprimer en formules explicites la conception de la démocratie qu’il avait commencé par vivre dans l’action de chaque jour. C’est ainsi que nos conceptions des rapports du christianisme et de la démocratie, de l’élite, de la majorité dynamique, après avoir été expérimentées par nous comme des réalités vivantes, sont apparues dans leur rapport logique et constituent maintenant une doctrine. »

Au milieu de 1904, Léonard Constant s’est donné tout entier. On est aux « beaux temps du Sillon », à l’année où le pape Pie X nous fait, en son palais du Vatican, le plus paternel accueil. Alors, si entraînant est le milieu, si triomphants sont les congrès et les réunions, que l’on travaille et se donne avec joie. Et lorsque, au cours de quelqu’une de nos veillées d’armes, nous entendons le Christ nous dire, dans son Evangile : « Pouvez-vous boire le calice que je dois boire ? » avec quelle allégresse nous répondons, en même temps que les fils de Zébédée : « Nous le pouvons » !

Il est tels moments, dans la vie du chrétien, où Dieu, le voulant arracher à ses pauvres désirs, lui envoie, quand il attend de lui de grandes choses, non pas toujours la souffrance mais surabondance de lumière et de joie. C’est une grâce qui se présente, le plus souvent, sous la forme d’une émotion vive, émotion dont Newman, dans un de ses sermons, nous dit tout le bon usage qu’il importe d’en faire, tout le profit qu’il est urgent d’en tirer. Or tel est bien ce qui arriva, à l’époque dont je parle, à un grand nombre d’entre nous. Cette foi, cet enthousiasme, et jusqu’au bon accueil que nous faisions à la douleur quand elle venait, par hasard, nous visiter en ces heures ardentes, tout cela nous était donné. C’était un bon vent que le ciel faisait souffler dans nos voiles, afin que, poussés bien vite en plein océan, nous ne soyons pas tentés, quand viendrait la tempête, de rentrer au port…

Représentez-vous maintenant le jeune Léonard, dont toute la personne n’exprime que noblesse, dont le regard, d’une étonnante profondeur, reflète la bonté et je ne sais quelle gravité, au milieu de ses camarades, à qui l’unit déjà une amitié que chaque jour fait plus forte. Il est heureux, heureux de prendre sa part du labeur commun, celle-là même qui lui est assignée par Marc Sangnier ou par Henry du Roure. Ce méditatif est devenu étrangement actif, mais d’une activité qui n’a rien tant en horreur que la vaine agitation, et qui ne se déploie qu’à bon escient et pour le bien. On le voit partout : dans les Instituts populaires, où il collabore avec Louis) Rolland et Gaucheron ; dans les cercles d’études où il fait siennes les expériences, parfois obscures et douloureuses, de la vie de ses camarades ouvriers et employés ; dans les journées sillonnistes, où il ne se contente pas de prendre des notes qui doivent lui permettre de rédiger ces petits chefs-d’œuvre que sont ses comptes rendus, mais où il se fait tout à tous, se chargeant, à l’occasion, avec quelques jeunes gardes, du service des tables ; dans les congrès enfin où son action, aux séances de travail, ne laisse pas que d’être considérable. Et s’il arrive, à certains de ces congrès, que se fassent jour des tendances dangereuses pour l’avenir du Sillon ; si, comme il advint au Congrès de Paris, en 1905, il se trouve des camarades qui, sous prétexte de « faire du pratique » par la création de multiples œuvres sociales, risquent de perdre de vue l’essentiel, avec quelle force Léonard fait apparaître l’étroitesse de leur vue et les rappelle au sentiment des véritables réalités ! Et si quelques années plus tard, il arrive à plusieurs de s’opposer à ce que le Sillon fasse de la politique, de quelle lumineuse façon il leur montre la nécessité de faire la trouée sur ce terrain comme sur les autres !

Feuilletons maintenant la revue Le Sillon ou les journaux, l’Eveil démocratique et La Démocratie, pour y relire les articles de Léonard Constant, dont les sujets ne lui ont jamais été inspirés que par les nécessités de l’action. Quelle pénétration, quelle puissance de synthèse, quelle large culture s’y révèlent, en même temps que ce patrimoine d’idées, d’aspirations et de doctrines communes dont est fait le Sillon !

Ecoutez ce développement d’une parole de Marc Sangnier : « Il faut se laisser faire par la vie. »

« C’est en recueillant toutes les voix de la vie ou, tout au moins, les plus pressantes et les plus essentielles, que nous pouvons nous faire ce parti pris profond de l’âme sans lequel nous ne pourrions que subir l’impulsion du passé et nous laisser façonner, sans réagir, par les conditions actuelles du milieu social. Or ces voix ne se recueillent que si d’abord, comme le disait le P. Gratry, nous avons su faire en nous le silence.

« Il faut faire le silence d’abord pour écouter la voix de Dieu. Elle nous est présente par les inspirations de notre raison et de notre conscience, par l’Evangile, par l’Eglise sans laquelle nous risquons toujours de confondre ce qui vient de Dieu et ce qui vient de nous. Mais ce silence est difficile à faire : la vérité divine ne pénètre en nous, par nos sens et par notre esprit, que si d’abord nous avons résolu de lui faire bon accueil et d’y conformer notre vie. Pour recevoir et faire nôtres les vérités simples que Dieu suggère à tous les individus et à tous les siècles afin de les attirer jusqu’à lui, il y a donc un travail de renoncement et de dépouillement à accomplir. Nous devons imposer le silence aux bruits troublants, aux sophismes de nos passions et aux préjugés de notre orgueil. Or rien ne supplée à ce travail de réforme intérieure. Il est vrai que l’Eglise visible formule et publie les préceptes et les conseils dont le Christ lui a donné la garde. Mais la lettre n’est rien sans l’esprit qui la vivifie. Pour résoudre pratiquement les problèmes que le temps renouvelle sans cesse, il faut que le sens chrétien de la vie réside en nous, et quotidiennement nous inspire, — ce sens qui nous est transmis à la fois par les sacrements et la vie liturgique de l’Eglise, par l’action fidèle de ses Saints et de ses Martyrs, par l’enseignement de ses Conciles et de ses Papes.

« Il faut faire le silence aussi pour discerner les plaintes réelles et les besoins profonds du temps où nous vivons. Les bruits qui les couvrent ne sont pas seulement ceux qui naissent de notre égoïsme individuel, ce sont aussi les protestations de l’esprit de classe, plus difficile à vaincre parfois que l’amour-propre le plus subtil. Dans cet ordre de choses, les préjugés sont si enracinés, les opinions courantes si peu contrôlées, les erreurs les plus dangereuses défendues parfois par des hommes d’intentions si droites, que l’on est souvent effrayé par les difficultés de la tâche à entreprendre. La tâche nécessaire et ardue consiste surtout ici à obtenir la vision directe des faits, à en apprécier la nécessité et la valeur et à juger dans quelle direction s’opère la poussée naturelle vers l’avenir.

« …De ces voix pénétrantes et pures entendues dans le silence du siècle, le Sillon est né et doit en. quelque façon renaître tous les jours. Les mêmes inspirations religieuses et les mêmes besoins sociaux profondément ressentis ont donné à notre mouvement sa direction essentielle et son. âme. »

Voici maintenant une étude qui a pour objet de mettre en lumière la valeur apologétique de La vie profonde, de Marc Sangnier. Léonard Constant vient de montrer que les raisons les plus solides de l’apologétique traditionnelle sont sans action sur ceux qui ne veulent ou ne savent ou ne peuvent plus les entendre. Il faut pourtant, remarque-t-il, si nous voulons qu’ils vivent, frapper l’attention des uns et fléchir le cœur des autres. Mais comment y arriver ?

« Par une autre apologétique, nécessaire au moins comme préparatoire aux raisons traditiO7melles de croire. Son rôle essentiel est de s’installer dans la vie humaine pour en rendre sensibles les limites, les misères, les insuffisances, — il consiste, ainsi que le dit Marc Sangnier, à faire éclater le néant du cœur où Dieu n’habite pas, et qui, pour peu qu’il s’élance en avant, rencontre partout ce qui est au-dessus des forces humaines. L’apologétique intégrale serait ainsi la science des rapports de deux faits faciles à constater : un fait intérieur, l’insuffisance de notre propre vie, le vide de notre cœur, au-devant duquel va la substantielle réalité d’un fait extérieur, la vie de l’Eglise qui prolonge jusqu’à nous la vérité, la grâce et l’autorité d’un Dieu fait homme. »

La science du fait intérieur a été poussée très loin par des philosophes chrétiens tels que le P. Laberthonnière ou M. Blondel, mais leurs travaux sont peu accessibles à la majorité des hommes.

« C’est alors que l’art doit intervenir comme un merveilleux suppléant à la critique intérieure de l’action, l’art qui a la puissance de faire saisir en un seul moment de sympathique intuition ce qui coûte au philosophe des efforts infinis d’analyse. Pourtant, si l’art doit intervenir, il n’est pas vrai que tout art puisse obtenir le résultat que nous cherchons. Il faut beaucoup plus, pour mettre à nu les pulsations de la vie profonde, que la clairvoyance d’un banal et plat réalisme. Il faut beaucoup plus que la fausse impartialité du regard qui laisse toutes choses sur le même plan, car il s’agit de faire apparaître des insuffisances, des élans qui n’aboutissent pas, d’impérieuses ambitions et d’inévitables faiblesses. Or, ce sont là des notions inconnues au froid observateur qui se place comme à l’extérieur de la vie, sans en éprouver les passions, sans en constater en lui les élans. Il faut, pour les manifester avec force, une âme qui ne se contente pas des médiocrités de la vie que les hommes, par tous leurs divertissements, s’efforcent de faire suffisante et close, et qui, d’elle-même, par l’expérience de ses propres exigences, révèle l’impérieuse logique de l’amour. »

Ce ne sont ni ses lectures ni ses réflexions seules qui ont permis à Léonard Constant de pénétrer dans ces profondeurs. Il est des inspirations qui ne se puisent que dans le cœur de Jésus-Christ. Or Léonard Constant était pieux, humble et pur, et les peines des autres lui étaient douloureuses. Je me souviens d’une soirée que nous passâmes, Henry du Roure, lui et moi, dans une université populaire polonaise et où les orateurs, qui tenaient des propos révolutionnaires, étaient frénétiquement applaudis. Sur l’estrade, tous les types du politicien de faubourg : les cyniques, les prétentieux, les délirants, entourés, chacun, d’une escorte aussi ridicule que lui-même. Dans la salle, des Polonais de tous sexes et de tous âges, dont les vêtements publiaient la misère et dont les visages contractés et l’enthousiasme nous disaient les souffrances. Je vois encore une vieille femme s’approchant d’Henry du Roure et lui disant, le regard perdu : « C’est beau l’Internationale ! »

Vous voyez le thème que pouvait fournir un pareil spectacle à tel romancier psychologue, contempteur de la démocratie. Léonard, lui, a considéré cette foule comme Jésus-Christ, avec compassion. Il se souvient des oppressions dont les Polonais ont été longtemps victimes et qui ont fait d’eux des révoltes, et, rentré chez lui, il exprime, dans les notes qu’il rédige pour la revue, cette pensée où se découvre son âme :

« Nous ne pouvons pas ne pas les aimer ces Polonais, nihilistes et libertaires, malgré les haines mal éteintes qui font incessamment explosion sous leur phraséologie humanitaire, parce que nous savons quelles injustices ont pesé sur leur race… Nous nous sentons envers eux comme un devoir de réparation. Nous somment explosion. sous leur phraséologie humanitaire, parce phèmes à l’égard des réalités que nous aimons, Dieu et patrie, puisque nous sommes loin encore d’avoir réalisé, dans notre France, la cité fraternelle et chrétienne ouverte à tous, où le passé et ses vieilles haines n’aurait plus la force de troubler le présent et l’avenir. »

D’autres que moi diront ce que fut, chez Léonard Constant, le philosophe et l’éducateur. Il me suffira de dire, pour ce qui est du philosophe, qu’il identifia la vérité spéculative avec l’objet vivant de son amour, et, pour ce qui est de l’éducateur, qu’il fut un merveilleux « éveilleur d’âmes ». Ses élèves étaient ses amis. C’est que sa puissance d’affection, qui était grande, demeurait toute pénétrée de la charité de Jésus-Christ. Et c’est aussi, comme me le faisait remarquer un de ses frères en la Cause, que se réalisait en lui cette parole de son Maître : « Celui qui croit en moi, des fleuves d’eau vive couleront de son sein. »

« Il y a des âmes et des destinées éternelles, et tant ce qui ne s’y rapporte pas n’est rien ». Ce fut une des grandes pensées de Léonard Constant, celle qu’il reconnut, il y a vingt ans, dans un appel de Marc Sangnier, et qui le fit, jusqu’à son dernier jour, demeurer fidèle à l’idéal de justice du Sillon et de la Jeune-République. Il était démocrate parce qu’il souhaitait ardemment que fut donné à toute vie humaine un élargissement conforme à son éminente dignité. Et il abhorrait le nationalisme parce que, dans le nationalisme, l’âme humaine est comptée pour rien. A Mayence, où il trouva la mort cependant qu’il s’employait à désarmer les haines, quelle victoire il a remportée pour la France, qu’il aimait d’un ardent amour !

Bon et cher Léonard, notre peine est grande aujourd’hui, mais nous avons la foi que tu avais. Nous savons que la mort ne nous a séparés que pour un temps. Nous demeurons unis par cette amitié dont tu m’écrivais, un jour : « Quelle joie de la sentir, au fond de nous-mêmes, identique, immuable, toujours chère et jeune » ! Nous prions pour toi ; et toi tu pries pour nous, sachant combien rude est notre tâche et combien chaque jour qui passe fait nos âmes plus assoiffées d’infini et d’éternité.

Gaston Lestrat.

SOURCE

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