GastonLESTRAT
Article de Henri COLAS extrait de L’Ame Commune, Bulletin trimestriel des AMITIES MARC SANGNIER paru en Décembre 1957, à la rubrique « Nos deuils ».
Comment vous parler de lui dans les termes qu’il faudrait ? Et ne pensez-vous pas, avec moi, que le privilège ne manque pas de tristesse, qui vous met dans la nécessité d’évoquer le souvenir d’un ami comme celui-là, alors que les années pèsent d’un poids presque égal sur mes épaules, qui marquèrent le nombre de ses jours ?
Je l’avais connu en 1903. Il commandait la Jeune Garde, à laquelle m’avait amené Henry du Roure, en dépit de mes réticences très accusées. Notre prise de contact fut un heurt ! J’arrivai au gymnase Pascaud deux minutes après l’heure fixée. Et Lestrat me dit : Si c’est l’exactitude avec laquelle tu dois arriver aux réunions tu feras aussi bien de rester chez toi ! » Et je ne restai pas chez moi, mais – parce que j’étais mordu ! – je m’attachai passionnément à la Jeune Garde, comme je l’étais au Sillon, et je donnai ma confiance à Gaston Lestrat, avec mon amitié, comme j’avais fait pour Marc et pour Henry. Et notre amitié, depuis 1903, ne connut pas de nuage.
Au cours du pèlerinage à Rome, en 1904, je participai aux côtés de Gaston Lestrat à diverses manifestations, notamment à une rencontre avec la Jeunesse Catholique italienne, dont il évoque le souvenir dans les pages de son livre : « Les beaux temps du Sillon ».
La veille du jour où j’ai appris sa mort, je parlais de lui avec de très intimes amis, très jeunes et fervents amis, séduits par le merveilleux idéal d’un mouvement qu’ils n’ont pas connu mais dont ils comprennent l’amitié par quoi il se définissait – et je revoyais la physionomie si attachante de celui à qui la rudesse même de son accueil m’avait tout de suite gagné.
Cette coïncidence – son souvenir me hantant tandis que m’attendait à mon retour la lettre qui m’annonçait sa mort – m’a beaucoup frappé. Une fois de plus j’ai senti et comme touché du doigt cette vérité consolante, à savoir que la mort n’est qu’une apparente séparation et qu’ils sont là, nos disparus, tout près de nous, dans notre vie, exerçant, alors que souvent nous n’y prenons pas garde, une action bienfaisante sur tout le cours de notre vie.
Gaston Lestrat était une âme lumineuse, une volonté fortement disciplinée, un cœur d’une sensibilité exquise, courageux dans le don de soi, fidèle dans ses amitiés ; un type de chrétien d’une qualité rare, vivant de sa foi sans respect humain, comme sans étalage indiscret, un modeste jusqu’à l’effacement ; il était – oh ! surtout – il était bon, d’une bonté dont on découvrait très vite qu’elle s’alimentait à la source même de la Bonté parfaite qu’est l’Eucharistie.
Ce que le Sillon lui a dû, Dieu seul le sait avec aujourd’hui tout le cortège d’âmes que nous avons aimées, que nous continuons d’aimer et qui ont fait retour à la Maison du Père. Comme il fera bon de se revoir, se retrouver, s’aimer un jour – bientôt – car les années sont brèves de toute vie ici-bas, si nombreux qu’en soient les jours – dans la possession et la gloire de Celui qui est la Vérité à laquelle nous avons décidé d’aller avec toute notre âme ; qui est l’Amour auquel nous avons donné notre vie et qui, finalement, aura vaincu la haine.
Henri COLAS.