Bulletin de la Crypte – décembre 1897


1re Année

Bulletin Mensuel

Décembre 1897

Le ” Bulletin de la Crypte ” paraitra mensuellement ; le premier numéro portera la date du 10 Janvier 1898.

BULLETIN DE LA “CRYPTE”

A NOS AMIS

Paris, le 22 novembre 1897.

Les conférences de la Crypte entrent dans leur cinquième année.

Oeuvre spontanée de jeunes hommes, son existence même montre qu’elle répond à une inspiration commune à tous ceux qui l’ont entreprise et qui la font vivre.

Elle est inspirée par le sentiment :

1° De la gravité des problèmes moraux et sociaux du temps présent.

2° De la solidarité de tous en face de ces problèmes, – de la responsabilité de chacun, en raison directe des moyens dont il dispose, – de la nécessité de nous unir dans l’idée et dans l’action.

Elle a pour but :

1° De nous faire entrer et demeurer tous ensemble, malgré la diversité nécessaire de nos études et de nos oeuvres, dans la foi intellectuelle en les principes simples mais essentiels — de vérité, de justice et de charité, – fonds commun de la pensée désintéressée comme du plus actif dévouement.

2° De nous exciter par un apostolat mutuel à faire de ces idées l’unité et l’ardeur de toute notre vie.

En un mot qui a été prononcé à notre toute première réunion, sans qu’il en ait été trouvé de meilleur depuis : « Nous voulons nous faire une âme commune. »

Quels sont nos moyens?

En principe, l’amitié – celle qui repose sur la fraternité des esprits et des coeurs; nous fùmes tout au commencement un petit groupe d’amis, d’autres groupes se sont rencontrés et se rencontrent quotidiennement avec nous; et ils se compénètrent et se recrutent les uns les autres.

Pratiquement, des conférences – où l’un de nous apporte des faits caractéristiques et des idées synthétiques — et où ensuite et surtout nous discutons librement : et là se nourrit notre foi intellectuelle et notre ardeur d’action, là se forge notre « âme commune ». Souvent, des hommes compétents ont bien voulu avoir le dévouement et la modestie de se mêler à nos réunions et de nous communiquer leurs conseils et leur zèle.

Par suite notre caractère est :

1° D’appeler tout le monde à nous, ou plutôt d’aller à tous ou plutôt d’aller à tous le coeur ouvert, l’âme prête à recevoir et à donner. Nous faisons hautement profession de catholicisme; mais nous voudrions connaître et aimer toutes les sincérités voisines de nous et aussi les éloignées et les opposées.

2° De ne point faire double emploi avec les oeuvres existantes ; aucune maison ne peut être désertée pour la nôtre ; car la nôtre elle n’existe pas; nous vivons au plein air, dans l’atmosphère d’une « âme commune », atmosphère bien large que tous peuvent respirer et qui est la vie même et le lien de toutes les autres.

3° D’unir les « intellectuels » avec les « actifs ».

Combien, après avoir été amenés à l’action par les idées entendues à la « Crypte » l’ont bientôt abandonnée comme trop spéculative, puis un jour dispersés et désorientés, sont revenus à nous disant : « Je veux encore entendre parler du but de la vie, du Christ et de son peuple! »

Lorsqu’un pays pendant de longues années, a été divisé, non seulement par les dissentiments de ses fils mais encore jusqu’au plus profond de l’âme de la patrie, lorsque des générations ont grandi sans lien entre elles et sans principe d’unité dans les esprits, lorsque la science est venue secouer ces débris sous un flot d’affirmations souvent fécondes, parfois hasardées, lorsqu’enfin le travailleur de la pensée et le fils du peuple s’ignorent et s’épient comme deux hommes dans les ténèbres, c’est sans doute un devoir bien strict que d’unir nos bonnes volontés. Certains voudraient peut-être un but plus précis à leurs efforts. Mais la nécessité de la tâche, la passion que son accomplissement inspire satisferont pleinement celui qui une fois s’y sera appliqué.

Le désir d’une telle oeuvre est tout à fait compatible avec le sentiment de notre faiblesse et de notre indignité. Qui oserait dire qu’il va créer à nouveau l’âme de son pays ? Mais quelle modestie serait assez fausse pour n’y point travailler ?

Cest pourquoi nous vous prions, de toute notre force, d’apporter parmi nous les idées que vous ont inspirées la pratique des oeuvres ou les aspirations d’une âme qui cherche la vraie voie, de venir puiser au réservoir de désirs, de pensées et de zèle que jusqu’ici nous nous sommes efforcés de mettre en commun. Déjà vous êtes avec nous de coeur; ne devons-nous pas nous voir, nous parler et nous serrer la main ?

POUR LE COMITÉ D’INITIATIVE,

Le président, ETIENNE ISABELLE.

Les conférences de la Crypte sont nées d’une autre oeuvre dont il sera parlé plus loin sous la rubrique « Dans les écoles ».

Les conférences ont été jusqu’ici mensuelles. Nous espérons être amenés bientôt a les rendre plus fréquentes par suite du nombre et de l’activité croissante de nos amis.

Dans chaque conférence un sujet est inscrit à l’ordre du jour : toutefois traiter de ce sujet n’est en quelque sorte pour nous qu’un moyen de nous éclairer sur un semble d’idées et de sentiments. Il faut donc que nous apportions « des faits caractérisques », c’est-à-dire non pas les détails instructifs et curieux que recherchent le spécialiste et le savant, mais des faits précis, d’un caractère général, susceptibles de montrer les grands traits d’une question, sa nature propre et sa connexité avec les autres problèmes moraux et sociaux, en un mot d’éveiller une idée féconde à notre point de vue.

Les idées pour la même raison, seront « synthétiques », c’est-à-dire que vu de la nécessité de montrer à tous la solidarité des divers travaux de la pensée et de l’action modernes, vu d’autre part l’impossibilité où nous sommes de pénétrer le fond de tout par l’analyse de chaque chose, nous prions les spécialistes de dégager à nos yeux la pensée essentielle de leur oeuvre.

Enfin, nous avons dit que la partie principale d’une réunion est la discussion qui suit l’exposé de la question. C’est là que nous prions tous nos amis de unir leurs efforts pour nous faire partager leur idée et leur conviction. Nous sommes très loin d’organiser des réunions où l’on s’exerce à la parole, nous croyons cependant faire quelque chose pour le développement de la véritable eloquence chez nos amis, en les priant de mettre toute leur âme à essayer de faire pénétrer le meilleur de leur pensée dans l’esprit et le cour de jeunes hommes unis pour suivre ensemble la vérité.

Un comité d’initiative dirige l’oeuvre matériellement, il est formé de jeunes gens pris dans les divers groupements, cercles ou associations existants, et qui représentent chacun ceux de leurs amis qui prennent part à notre oeuvre.

Ceux qui s’intéresseraient à celle-ci, sans appartenir à quelqu’un de ces groupes sont priés d’écrire au président du comité d’initiative ; celui-ci sera heureux de se mettre lui-même ou de mettre l’un de ses amis en relations avec eux.

La direction morale de l’œuvre appartient à tous ceux qui y collaborent ; soit qu’ils agissent par l’intermédiaire du ou des membres du Comité qu’ils connaissent, soit qu’ils écrivent au rédacteur du Bulletin comme il va être dit.

NOTRE BULLETIN

Le Bulletin de la « Crypte » comprendra en chacun de ses numéros :

1° Un compte-rendu détaillé – et in extenso pour les parties les plus importantes – des délibérations de la réunion précédente.

2° Quelques remarques sur leur signification, leur portée et leur valeur dans l’ensemble de nos travaux.

Il se pourra que, de la discussion, les idées principales ne se soient pas toujours suffisamment dégagées. Nous demanderons donc à nos amis, chaque fois qu’ils le jugeront bon, de communiquer leurs impressions et les idées nouvelles qu’a pu leur inspirer la réunion à notre rédacteur qui les condensera en un article.

3° Sous le titre de « Varia », la mention de tout événement intéressant notre oeuvre – et en particulier des renseignements sur les livres et les oeuvres se rapportant aux sujets traités en réunion.

4° Une correspondance.

En dehors des lettres de nos amis qui trouveront place dans la deuxième partie du Bulletin, nous serons heureux d’entrer en relation et de communiquer avec tous, particulièrement avec nos amis de province, pour nous éclairer ou les éclairer eux-mêmes, sur la nature de notre effort, son opportunité, ses conséquences, la direction à lui donner, etc…

Particulièrement, les propositions de sujets pour les réunions seront les bienvenues – soit que l’on désire les entendre traiter, soit que l’on s’engage à le faire.

VARIA

M. Fonsegrive, nommé président de la Conférence Saint-Vincent de Paul de Plaisance, serait heureux que des jeunes gens voulussent bien se joindre à lui pour « essayer de faire quelque chose ».

Le Bulletin de la « Crypte » sera toujours ouvert aux communications de même nature que la précédente. Il rentre bien dans notre esprit de collaborer à l’éclosion d’oeuvres d’un caractère nouveau, surtout lorsqu’il s’agit comme actuellement de prendre part à l’effort très immédiatement pratique d’un maître incontesté de la jeunesse intellectuelle.

Voici la liste des conférences faites à la « Crypte » pendant le dernier semestre écoulé avec la référence des revues où elles ont été publiées :

Octave HOMBERG : Les Progrès de l’Idée corporative, Sillon, juin-octobre 1897

René PINON (Jean Montalouet): Chronique sociale, Sillon, août 1897.

G. FONSEGRIVE : Le Devoir civique de la Jeunesse catholique. Les Idées et les Faits, Quinzaine, 15 septembre 1897.

Le Congrès de l’Association Catholique de la Jeunesse Française tenu à Tours au commencement d’octobre l’a été dans un esprit qui aurait plu à tous nos amis.

Voyez le Sillon de décembre 1897 et le compte-rendu in-extenso dans la Revue de la Jeunesse Catholique, octobre-novembre 1897.

***

Le Congrès des catholiques du Nord et du Pas-de-Calais a compris cette année les séances spéciales des Unions de la Démocratie chrétienne. Celles-ci se sont occupées de la question de l’éducation démocratique chrotienne. Nos amis du Nord ont approuvé notre principe de travailler à cette éducation par des réunions de libre discussion entre jeunes gens et même entre enfants. Une note paraîtra à ce propos dans la Démocratie chrétienne en même temps que le compte-rendu du Congrès.

DANS LES ÉCOLES

Nous écrivions l’an dernier à nos amis:

Il y a trois ans, étant encore élèves à Stanislas, nous nous sommes réunis dans la « Crypte »

Nous voulions :

Etablir au-dessus des relations de simple camaraderie une amitié fèconde et active pour le bien ;

Dégager de nos études diverses ce que nous y pourrions trouver de plus utile et vivant pour créer ainsi enire nous une sorte d’ame commune;

Songer à l’avenir et commencer à agir, par exemple dans les patronages, nous efforçant de maintenir l’union si nécessaire entre la vie intellectuelle et la vie active:

Faire enfin du christianisme moral, intellectuel et social, le lien d’unité de toute notre vie.

Ces réunions existent toujours à Stanislas.

C’est en effet de ces réunions qu’est née notre oeuvre. Sans doute, elle a pris, dès le moment où elle est sortie du collège, un caractère plus large et assez different. Nous n’en restons pas moins attachés de ceur à notre entreprise primitive et à ceux qui la continuent.

D’ailleurs des cuvres analogues se sont fondées ailleurs et pour ceux qui désireraient en fonder de nonvelles, nous sommes heureux de publier ici les principaux statuts de la conference Gratry de l’école Massillon à Paris.

Nous souhaitons de tout ceur bon courage à nos jeunes amis de Massillon, nos collaborateurs dès aujourd’hui, en attendant qu’ils viennent grossir nos rangs à la sortie de l’école.

1.– La Conférence Gratry a pour but principal de réunir ceux des anciens élèves de l’Oratoire qui désirent plus particulièrement se fortifier dans leurs croyances chrétiennes et s’encourager à la pratique des euvres charitables et sociales.

Elle se propose en second lieu d’habituer ses membres à défendre et à propager leurs idées par l’usage de la parole publique et de la libre discussion.

Elle espère enfin exercer une heureuse influence sur l’esprit des plus grands élèves des maisons d’éducation dirigées par les Pères de l’Oratoire.

La Conférence Gratry ne fait concurrence à aucune des associations amicales existant entre les anciens élèves des maisons de l’Oratoire, non plus qu’à aucun cercle ou conference catholiques; elle autorise chacun de ses membres à faire partie d’une autre réunion du même genre, si bon lui semble.

I. – Elle prend le nom de Conférence Gratry, non seulement parce que le P. Gratry a été, au milieu du XIXe siècle, un grand apôtre de la jeunesse et le restaurateur de l’Oratoire; mais parce que la largeur et la fécondité de ses vues, jointes à la générosité de ses aspirations, font de lui le patron naturel de jeunes gens chrétiens, élevés par les Pères de l’Oratoire, et que préocccupent les idées et les besoins de la société contemporaine.

XII. – Chaque séance est consacrée : 1° au compte-rendu des cuvres de charité, de patronage ou de moralisation, dont s’occupent quelques-uns des membres de la Conférence ; 2° à l’exposition faite par l’un des membres d’une théorie ou d’une idée, d’un livre ou d’un article, intéressant le mouvement religieux, intellectuel, moral ou social ; 3° à la discussion du sujet exposé et, s’il y a lieu, au vote d’une motion ou d’un voeu exprimant l’opinion de la majorité.

L’un des Secrétaires ou Vice-Secrétaires, à tour de rôle, analyse brièvement, sur un cahier de procès-verbaux, la conférence et la délibération.

XV. – Tous les membres de la Conférence qui peuvent disposer d’une partie de leur temps sont exhortés à prendre une part active aux oeuvres charitables qui sont l’honneur et la force de la jeuunesse catholique.

Cette oeuvre peut s’étendre aux écoles primaires :

Voilà donc une classe de petits garçons, c’est la grande classe de l’école libre ; l’exercice dont nous parlons se fera tous les huit jours, le jeudi, le dimanche, quand on voudra. Il n’est pas présidé par le frère, mais par un enfant, et tous les élèves présideront une séance à leur tour. Le maître y assiste pour maintenir l’ordre et empêcher les erreurs de se produire ; l’enfant monte à l’estrade; on veut par là vaincre la timidité des jeunes écoliers et les accoutumer à prendre un peu d’initiative.

La séance se compose de deux parties : l’explication d’un passage de l’Evangile et la réponse à une objection. Chaque élève est tour à tour chargé de faire l’un et l’autre de ces exercices.

Celui qui explique l’Evangile prépare son travail à l’avance. Il commence par lire un ou plusieurs versets, il en donne l’explication en quelques mots. Ceux qui trouveraient son explication insuffisante demanderont au petit président la permission de poser une question, qui sera résolue par l’élève ou, s’il ne le peut, par son maître.

Quand l’explication du passage sera terminée, les élèves chercheront tous si, dans le passage ainsi expliqué, il ne se trouve pas une vérité sociale.

Comme exemple de vérités sociales, citons cette maxime Aimez-vous les uns les autres, qui suffirait, bien comprise, à guérir l’égoïsme et tous les maux dont souffre la société moderne ; – cette autre : Vous êtes tous frères, qui a contribué puissamment à la suppression de l’esclavage ; – cette autre encore : Ce que vous serez au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’aurez fait, qui a engendré la bienfaisance privée et publique, avec toutes ces institutions ; — ou encore la parabole du grain de sénevé, qui explique la manière de procéder dans la formation des sociétés chrétiennes ; – l’ordre de ménager le roseau à demi-brisé et la mèche encore fumante, qui indique les ménagements dont il faut user envers les âmes coupables ; – l’invitation à tous ceux qui ont le droit de commander aux hommes, de se faire leurs serviteurs, qui montre que l’autorité a été remise à certains hommes, non pas pour eux, mais en vue du bien de leurs subordonnés; – ou bien la recommandation souveraine du Maître : Allez, enseigner, c’est la vérité qui vous délivrera, qui a donné naissance à l’instruction publique, etc. (1),

L’action des pareilles oeuvres sera considérablement accrue par l’union qui existera entre elles. 

Suivant la triple gradation des conférences de celles du collège et des réunions de la Crypte dispersés sur le sol de la France, et s’ignorant les uns les autres, un lien est nécessaire ; le Bulletin de la Crypte, par sa rubrique « Dans les Ecoles », pourra être ce lien.

(1) Abbé Th. Garnier.

LE BULLETIN DE LA “CRYPTE” ET LE “SILLON”

D’étroites relations amicales et une foncière communauté d’esprit rattachent la Crypte et la revue le Sillon. Nous sommes heureux d’annoncer à nos lecteurs que notre ami et premier inspirateur, M. M. S.-L., publiera dans le Sillon du 10 décembre prochain, un allicle très important sur notre æuvre. Nous ne saurions en recommander trop instamment la lecture à ceux qui veulent ou nous suivre ou simplement nous connaître.

Pour les conditions de l’abonnement au Bulletin de la “Crypte”, soit avec le “Sillon“, soit séparément, voir la couverture.

Le Gérant : ALBERT LAMY.